Avoir le courage de rompre avec ceux qui nous ont mis dans des problèmes

Le 27 août 2019, quand Emmanuel Macron disait aux ambassadeurs français réunis à l’Élysée que « l’on assiste à la fin de l’hégémonie occidentale sur le monde et à l’émergence de nouvelles puissances dont nous avons longtemps sous-estimé l’impact », il faisait un constat lucide et objectif.

Car la Chine, la Russie, l’Inde, la Turquie, l’Afrique du Sud, etc. sont devenues des puissances qui « viennent bousculer notre ordre international et peser dans l’ordre économique ». Par contre, le conseil selon lequel les Européens ne devraient pas « seulement s’adapter au changement mais tenter de rebâtir un ordre mondial nouveau, ordre dans lequel l’Europe doit s’affirmer davantage si elle ne veut pas tout simplement disparaître » nous laisse perplexe. Pourquoi ?

La première raison, c’est que Macron continue de penser que l’Europe devrait « s’affirmer davantage ». Or, en regardant les siècles passés, on se rend compte que cette Europe s’est trop souvent affirmée contre et au détriment des autres peuples, c’est-à-dire en les massacrant, en pillant leurs richesses, en saccageant leurs cultures, en faisant d’eux des esclaves, en envahissant et en occupant leurs terres (lire, entre autres, Aimé Césaire, ‘Discours sur le colonialisme’, Paris, Présence Africaine, 1955 et Frantz Fanon, ‘Les Damnés de la Terre’, Paris, François Maspero, 1961).

Pour certains, cette façon de se comporter résulterait d’une volonté de puissance. Chez Nietzsche, cette expression ne signifie pas envie de dominer autrui mais surpassement de soi-même. Pour le philosophe allemand, en effet, en chacun de nous, sommeillent des passions heureuses et des démons et « le Surhomme » est précisément l’homme qui, au lieu de se laisser submerger par ses démons, se contrôle afin de devenir la meilleure version de lui-même (cf. « Ainsi parlait Zarathoustra »). Affirmer que les Occidentaux se sont toujours employés, non pas à dominer les démons qui les habitent, mais à dominer, à contrôler et à soumettre ceux qui sont différents d’eux, ce n’est point porter un jugement de valeur mais faire un simple constat. Si les relations entre la France et ses ex-colonies sont devenues on ne peut plus exécrables, c’est en grande partie à cause de la volonté des Gaulois d’exercer leur puissance sur les Africains.

Secundo, Macron estime que « Paris peut et doit aussi jouer le rôle de puissance d’équilibre, nous devons en quelque sorte avoir la liberté de jeu, la mobilité, la souplesse. Nous avons des alliés dans chaque région du monde mais nous ne sommes pas une puissance qui considère que les ennemis de nos amis sont forcément les nôtres, ou qu’on s’interdit de leur parler ». Ce non-alignement de la France sur la position des États-Unis, on ne l’a pas vu quand la Russie a envahi l’Ukraine. Hormis des souverainistes comme Mélenchon, Dupont-Aignan, Marine Le Pen, Zemmour et Asselineau qui souhaitent que leur pays sorte de l’Otan, les dirigeants français ont rarement démontré qu’ils pouvaient faire autre chose que suivre bêtement les présidents américains, même quand ceux-ci prenaient des décisions contraires aux intérêts économiques de la France.

Tertio, Macron présente l’Afrique comme une « indispensable alliée » de la France. Mais peut-on le croire quand on pense à la manière dont le continent noir a été traité par son pays depuis le temps de la colonisation ? Celui dont on achète les matières premières à vil prix, celui qu’on empêche de s’industrialiser, celui dans les affaires internes de qui on s’ingère à tout moment, celui pour qui on écrit les résolutions à l’Onu, celui-là est-il un allié ? Non. C’est un inférieur car ce sont des égaux qui font alliance ou se mettent en alliance. La suite des propos de Macron permet de comprendre que l’Afrique n’est pas une alliée mais un instrument dont l’Europe compte se servir « pour continuer de jouer tout son rôle dans les affaires du monde ». Les alliés cherchent à grandir et à avancer ensemble. Lorsque les uns s’enrichissent pendant que les autres s’appauvrissent, il ne s’agit plus d’alliance mais d’un marché de dupes.

Que le déclin de l’Europe ait commencé est un fait indiscutable, chose que très peu d’Africains regretteraient. Les moyens qu’elle veut prendre pour entrer dans le nouvel ordre mondial, eux, sont discutables. Ces moyens sont la tromperie, l’arrogance, la manie de donner des leçons aux autres, le fait de croire que l’on est détenteur de la vérité et des meilleures solutions, etc. L’empire romain a dominé le monde pendant plus de 600 ans. S’il s’est effondré en 476 après J.-C., c’est, entre autres, parce que les autorités romaines se croyaient supérieures aux “Barbares” habitant aux frontières de l’Empire (https://www.futura-sciences.com/sciences/questions-reponses/histoire-chute-empire-romain-sont-causes-5410/

On peut ne pas approuver l’invasion de l’Ukraine par la Russie mais que sait-on des antécédents (le bombardement de Belgrade et la destruction de la Serbie par l’Otan en 1999, la guerre du Kosovo) qui l’ont rendue possible ? Sait-on que Poutine proposa son aide aux États-Unis après l’attaque terroriste du 11 septembre 2001, que George Bush opposa une fin de non-recevoir à sa demande d’adhérer à l’Otan et qu’il perçut l’assassinat de Kadhafi et la destruction de la Libye comme la volonté des Occidentaux d’imposer leur vision du monde au reste de la planète ?

L’hégémonie occidentale a atteint ses limites. Lentement mais sûrement, un nouveau monde se met en place. Le multilatéralisme est en train de succéder à l’unilatéralisme. La preuve en est que tout le monde n’a pas voté en faveur de la résolution de l’Assemblée générale de l’Onu du 2 mars 2022 condamnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Parmi les pays qui se sont abstenus, il y avait la Chine, l’Inde, les Émirats arabes unis, le Brésil, l’Argentine, la Bolivie, mais aussi l’Algérie, l’Afrique du Sud, l’Angola, le Burundi, le Congo-Brazzaville, l’Éthiopie, la République Centrafricaine, le Mali, Madagascar, le Sénégal, le Soudan, la Guinée, le Burkina Faso, le Togo, le Cameroun et le Maroc.

L’abstention d’un pays comme le Sénégal est une agréable surprise quand on connaît les liens très étroits qu’entretiennent Paris et Dakar. Le Sénégal aurait-il découvert enfin que l’amitié avec la France est un leurre ? L’Afrique francophone serait-elle fatiguée de cheminer avec un partenaire dont de plus en plus de jeunes africains dénoncent la duplicité et l’ingratitude ? En tout état de cause, j’aurais souhaité que les pays africains fassent comme l’Erythrée, aurement dit qu’ils soutiennent ouvertement la Russie.

Pourquoi ? Parce que les Soviétiques ont aidé de façon significative les mouvements de libération nationale de l’Angola, du Mozambique, de la Guinée-Bissau, du Cap-Vert, de l’Afrique du Sud, de la Namibie à chasser le colonisateur portugais ou anglais. Combien de pays de l’Afrique subsaharienne l’Europe a-t-elle industrialisés depuis 1960, année des pseudo-indépendances ? Combien d’universités, d’usines et de routes bitumées a-t-elle laissées sur le continent ? N’est-elle pas impliquée dans la mort des Patrice Lumumba, Ruben Um Nyobè, Félix Moumié, Sylvanus Olympio, Thomas Sankara et Mouammar Kadhafi ? N’est-ce pas la France qui faillit tuer Laurent et Simone Gbagbo en avril 2011 ? Grâce à la Russie, la République centrafricaine et le Mali s’éloignent peu à peu de la violence et de l’instabilité. Voici une puissance qui, en plus de ne pas affectionner les discours creux, sait se faire respecter et milite pour que l’Afrique puisse se gérer elle-même. À moins d’être maudit, peut-on raisonnablement se passer d’une telle puissance ?

 

Jean-Claude Djereke

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