«Réfléchir pour savoir de quelle manière Olembé, Japoma et autres seront pérennes»

Pour cette CAN, le développement des infrastructures au Cameroun tourne autour de plus de 800 millions de dollars d’investissement public. On n’estime pas encore la sphère privée, notamment les hôtels 4 étoiles. Lorsqu’un marché est plus ouvert, il peut être un levier pour encourager les investissements. La problématique reste celle de la rentabilisation des investissements.

Dans cette deuxième série, le directeur par intérim du Bureau sous-régional Afrique centrale de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique s’intéresse aux retombées de la CAN TotalEnergies 2021 et présente des pistes de solution pour assurer la rentabilisation des investissements effectués.

Jean Luc Mastaki

On peut affirmer que la CAN est une opportunité qui se greffe à la plus grande opportunité qu’est la ZLECAF. Justement, le 1er Janvier 2022, l’Afrique a commémoré l’an 1 de la ZLECAF. Seulement sur le terrain, pas d’intensité des échanges. Les grand-messes sportives et culturelles internationales telles que la CAN 2021 ont des connexions et répercussions multidimensionnelles à l’économie. Dans la perspective de la libre circulation des biens, la CAN pourrait-elle être une rampe de lancement pour actionner la machine grippée?

Il existe un parallélisme très fort entre ces deux opportunités qui permettent à ce que l’Afrique converge vers un seul et même endroit. Tout cela dépendra de ce que l’endroit en question peut offrir. Aujourd’hui, le Cameroun offre la CAN: c’est le point d’attraction. Demain, les avantages que nous pourrons tirer de la ZLECAF dépendront de ce que nous avons à offrir: une capacité productive et sa compétitivité.

Qu’est-ce que le Cameroun offre sur la table et quel est le niveau de compétitivité prix-qualité de ces produits?
Deuxième élément: quelles sont les facilités de commerce qui existent et qui permettent en fin de compte de profiter de ce décloisonnement? Si nous n’avons pas des infrastructures, on aura beau ouvrir les frontières mais pour amener les produits jusqu’à la frontière, il faut des routes de qualité ; il faut un chemin de fer de qualité. Il faut le climat des affaires lui-même. La ZLECAF va profiter aux pays qui auront quelque chose à offrir; qui auront mis en place les infrastructures nécessaires; qui auront mis en place les pratiques commerciales qui s’alignent sur cette connectivité et cette efficience des procédures au niveau des frontières. Au-delà des barrières tarifaires, il y a tout un tas de pratiques et de processus au niveau des douanes qui doivent être expéditifs.

Nous sommes sur un marché où les produits qui doivent exportés sont les produits manufacturés et produits à valeur ajoutée: l’huile raffinée du Cameroun, les jus de fruit du Cameroun, la tomate concentrée du Nigéria. Ce sont des produits élaborés. Il faut aussi que notre infrastructure de qualité puisse être fonctionnelle et soit à mesure de certifier la qualité.
Autre élément, la compétitivité-coût. Nous allons concurrencer les produits identiques aux nôtres fabriqués dans d’autres pays africains. Nous devons être compétitifs en termes de coût. La compétitivité est liée à un certain nombre de facteurs de notre écosystème : l’énergie (disponibilité et coût). L’énergie doit être de bonne qualité et à moindre coût afin de ne pas impacter le coût final de nos produits. Il y a également le système d’approvisionnement en termes de matières premières pour élaborer nos produits. Les chaînes de valeurs sont-elles bien rationalisées et bien intégrer pour être mieux connectées à l’industrie? Ce sont des prérequis pour tirer profit de la ZLECAF.

Autre élément, les informations commerciales et économiques. Est-ce que nous connaissons où se trouvent les opportunités pour vendre les produits camerounais sur le marché africain? À la CEA, nous avons fait beaucoup d’études pour essayer de comprendre où se trouvent les opportunités de commercialisation.

Lorsqu’on a ce système d’information économique et commerciale, on sait bien s’aligner parce qu’on comprend les besoins des consommateurs qui se trouvent là-bas. Enfin de compte, c’est le rôle de cette diplomatie économique: nos ambassades et nos consulats doivent collecter l’information et informer les pays en termes d’informations d’opportunités de marché.

Pour moi, tout le débat tourne autour de la qualité de nos produits, leur compétitivité, l’information et la qualité de l’écosystème, les infrastructures de transport et d’énergie, nouvelles technologies de l’information et de la communication. Le Covid-19 nous a montré qu’il fallait se mettre au digital. Ce d’autant plus que le consommateur est de plus en plus jeune. Il faut donc innover.

Lorsqu’on regarde la CAN telle qu’elle se déroule, elle peut rassurer. La conscience d’un marché beaucoup plus élargi permet un investissement à la fois public et privé élevé et important. Pour cette CAN, le développement des infrastructures au Cameroun tourne autour de plus de 800 millions de dollars d’investissement public. On n’estime pas encore la sphère privée, notamment les hôtels 4 étoiles. Lorsqu’un marché est plus ouvert, il peut être un levier pour encourager les investissements.

La problématique reste celle de la rentabilisation des investissements. S’agissant de la CAN, quelles sont les stratégies mises à œuvre par le Cameroun pour rentabiliser les investissements? Afin d’éviter les éléphants blancs; éviter les infrastructures de prestige qui ne sont pas rentables pour lesquels les retours sur investissement sont faibles. Lorsque cela arrive, la question de la maintenance va avec. Si un investissement n’a pas généré de retour, les charges récurrentes à son existence posent problème. Donc, il faut qu’on réfléchisse pour savoir de quelle manière Olembé, Japoma et autres seront pérennes.

Avez-vous des propositions concrètes?
Les idées ne manquent pas: il faut renforcer les championnats nationaux, on n’a pas besoin d’être expert en football pour le comprendre. Deuxième élément, le pays doit améliorer son attractivité par rapport à des évènements qui ne pourront pas forcement être du niveau de la CAN, mais qui restent dans la même philosophie. Il faudra accueillir d’autres compétitions qui permettront non seulement au Cameroun de rester un centre de convergence, mais aussi permettront au Cameroun de continuer à accompagner les talents du Cameroun dans la chaîne de valeur du football.

Ainsi, ces stades génèreront d’autres champions dans les générations futures consolidant ainsi le statut du Cameroun comme terre des champions. Au-delà des stades et des infrastructures routières, il y a le développement économique à nourrir derrière. Evidemment, il germe la question du financement de ces infrastructures. Précisément, la question du financement extérieur et l’endettement. Le débat de la rentabilité de ces infrastructures doit être lancé dès maintenant. Que le Cameroun définisse des stratégies pour que ces infrastructures soient maintenues et continuent de générer le retour sur investissement attendu.

Lorsqu’on quitte la sphère publique, on va dans la sphère privée. Le Cameroun a été honoré par un certain nombre de nouveaux hôtels. Il y a aussi eu l’extension des investissements existants. Lorsque vous traverser la ville, il ne faut pas être économiste pour le comprendre. Il y a beaucoup de 4 étoiles qui sont sortis de terre, mais les hôtels existants se sont mis au niveau en termes de taille, mais aussi en termes de qualité de service. Les investissements réalisés à ce niveau doivent être rentabilisés eux aussi. Ceux-ci témoigneront donc de la capacité du Cameroun à attirer de grands évènements internationaux au-delà du football: de grandes conférences, des Sommets qui permettent que les taux d’occupation de ces hôtels soient maintenus concourants ainsi à rembourser certains crédits.

Le secteur des services en général aura donc bénéficié énormément de la CAN. C’est aussi celui qui a été le plus morose après le passage de la pandémie. Ce coup de pouce est conjoncturel. Il faudra continuer à réfléchir pour qu’après la CAN, on continue à relancer l’économie du Cameroun à travers les services. L’avantage du secteur des services c’est qu’il est intensif en termes de main d’œuvre par rapport à d’autres secteurs. Les emplois n’étant pas souvent très exigeants en termes de qualification, il y a beaucoup de jeunes qui y travaillent. Le lien avec la lutte contre la pauvreté est très fort. L’inclusivité de la croissance est forte. Il va falloir réfléchir comment la CAN entre dans le cadre de la relance économique postCovid-19 et elle se durabilise.

Qu’en fin de compte, le Cameroun retrouve le sentier de la croissance et d’une croissance robuste, durable et inclusif. Ce que nous avons toujours souhaité. Évidemment, tout cela devrait venir avec les pratiques que nous mettons en place en termes de libre circulation des personnes, capacité d’accueil, incitation au déplacement et à l’accueil des touristes. Toutes les procédures de visa, les possibilités de transport, les procédures de transport. L’avantage avec ce type d’évènement et des compétitions est que ceux qui viennent pour la première fois auront envie de revenir et vont convaincre les autres. Il faut que nous ayons cela à l’esprit.

Propos recueillis par
Remy Biniou

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