La visite de Zemmour à Abidjan

Dans cette nouvelle chronique, Jean-Claude Djéréké  se positionne une fois encore contre les discours paternalistes et met à nu les contradictions relevées dans la posture et le langage du polémiste et actuel candidat à la présidence de la République française.

Éric Zemmour avait été condamné à 2.000 euros d’amende avec sursis en février 2011 pour des déclarations racistes faites le 6 mars 2010 sur Canal+ et France 2. Sur la 1ère chaîne, il avait expliqué que les Noirs et les Arabes étaient contrôlés plusieurs fois parce qu’ils étaient des trafiquants de drogue. Sur France 2, il avait défendu l’idée que les employeurs blancs avaient le droit de ne pas embaucher des Arabes ou des Noirs.

10 ans plus tard, le journaliste polémiste a-t-il changé de regard et de discours sur les Noirs et les Arabes de France ? Non. Zemmour continue de tenir des propos méprisants et blessants contre l’islam et l’immigration. Ainsi, le 6 mai 2014, dans une chronique intitulée “En matière de délinquance, notre État fait illusion”, il ne voyait aucune différence entre “les « bandes de Tchétchènes, de Roms, de Kosovars, de Maghrébins, d’Africains qui dévalisent, violentent ou dépouillent” et “les grandes invasions d’après la chute de Rome”. Ce qui a changé, c’est qu’il est candidat à la prochaine élection présidentielle et qu’il espère battre tous ses adversaires afin de sauver cette France “sidérée et prostrée [mais dont] la fureur se perd dans le vide intersidéral des statistiques”, cette France que beaucoup de Français disent ne plus reconnaître.

Je ne reproche pas à Zemmour d’être souverainiste. Moi aussi, je le suis. Je suis partisan de l’Afrique aux Africains et de la France aux Français. Je veux que chacun s’occupe de ses oignons et jouisse de ses richesses au lieu de s’ériger en donneur de leçons et de convoiter le bien des autres. Ce que je lui reproche, en revanche, c’est de ne pas être conséquent avec lui-même. Car comment peut-on être fier d’appartenir à un pays qui demanda en 1966 aux Américains de fermer les bases militaires qu’ils avaient en France et rendre visite à la base militaire française d’Abidjan? Comment peut-on promettre l’immigration zéro aux Français et courir en même temps après l’argent des Africains pour financer sa campagne électorale?  Zemmour estime que la France est de plus en plus envahie par les Noirs mais s’est-il une fois demandé pourquoi ces Noirs quittaient l’Afrique ? Car l’immigration n’est peut-être que la conséquence de la politique française que certains analystes jugent prédatrice et complice des dictateurs africains. Qui sait si les immigrés noirs ne sont pas sur les traces des richesses que la France a pillées en Afrique ? L’histoire de son pays semble passionner le candidat de “La Reconquête” et il a l’air de savoir quel président a fait ceci ou cela en telle ou telle année.

J’ose croire qu’il connaît aussi ce morceau du discours prononcé par Jacques Chirac en janvier 2001 lors du 21e sommet France-Afrique à Yaoundé : “Nous avons saigné l’Afrique pendant quatre siècles et demi. Ensuite, nous avons pillé ses matières premières ; après, on a dit : ils (les Africains) ne sont bons à rien. Au nom de la religion, on a détruit leur culture et maintenant, comme il faut faire les choses avec plus d’élégance, on leur pique leurs cerveaux grâce aux bourses. Puis, on constate que la malheureuse Afrique n’est pas dans un état brillant, qu’elle ne génère pas d’élites. Après s’être enrichi à ses dépens, on lui donne des leçons.”

Éric Zemmour était discrètement arrivé à Abidjan, le 22 décembre 2021. Lui qui veut que l’argent de la France ne profite qu’aux Français, je doute fort qu’il soit retourné à Paris les mains vides car c’est une tradition bien française que les présidents africains mettent la main à la poche pour contribuer au financement des campagnes électorales en France. Avant Zemmour, Jean-Marie et Marine Le Pen, François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, Manuel Valls, Emmanuel Macron avaient bénéficié des largesses des présidents africains.

Combien Zemmour reçut-il ? Cela reste aussi mystérieux que l’endroit et le moment où son cadeau de Noël lui fut remis. Ceux qui pensent que nous racontons des histoires peuvent lire “La République des mallettes” (Fayard, 2011) de Pierre Péan, échanger avec Robert Bourgi, l’avocat et ancien conseiller de Chirac et Sarkozy ou interroger Roland Dumas. L’ancien ministre des Affaires étrangères de Mitterrand n’admettait-il pas en 2011 avoir porté des valises d’argent pour l’ancien Président. “Cela a toujours existé, disait-il. Ce n’est pas nouveau. Il y avait des relations personnelles entre les chefs d’État africains et français, quels qu’ils soient, et chacun aidait  l’autre lors des campagnes électorales. À gauche comme à droite” (cf. ‘Lyon Capitale’ de septembre 2011) ? Par conséquent, il serait naïf de penser que Zemmour était dans la capitale économique ivoirienne uniquement pour rendre visite au 43e BIMA, la base militaire française qui, de mon point de vue, aurait dû fermer depuis longtemps.

Pendant que Zemmour circulait tranquillement à Abidjan, 96 docteurs, qui manifestaient pacifiquement devant la cathédrale Saint-Paul d’Abidjan, étaient gazés, humiliés et embastillés à la Préfecture de Police du Plateau. Ces docteurs sont membres du Collectif des 3000 docteurs qui ne demandent qu’à servir leur pays. Comment un gouvernement peut-il mépriser et maltraiter ses universitaires alors que, en janvier 2017, il accorda séance tenante 12 millions de francs CFA à chacun des 8500 anciens combattants des Forces Nouvelles qui avaient ouvert le feu à Bouaké et dans d’autres villes du pays ? L’arrestation des docteurs ne semble pas avoir ému grand-monde. Ni les partis politiques, ni les enseignants du supérieur, ni la la puissante Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire, ni les guides religieux, ni les chefs traditionnels, ni les organisations de défense des droits de l’homme n’ont osé élever une vive protestation contre les mauvais traitements subis par les manifestants.

Aujourd’hui, tout se passe comme si tout le monde avait démissionné et cessé de se battre pour la justice et la liberté, comme si certains, après avoir légitimé le 3e mandat anticonstitutionnel de Ouattara, avaient choisi de manger avec le pouvoir et d’entrer dans le prochain gouvernement. D’autres préfèrent parler d’Olivia Yacé qui serait bien positionnée pour la finale Miss monde 2022 ou suivre les pitreries du “Général” Camille Makosso. Mais un pays, qui a une propension au divertissement, à la superficialité et aux futilités, n’est-il pas mal parti ? Peut-il s’en sortir quand ses fils et filles s’accommodent facilement de l’injustice et du crime, quand ils se résignent vite et attendent tout de Dieu ?

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