Hommages oui, mais…

Au Cameroun, le mot hommage a tourné en boucle dans l’actualité de ces derniers jours. Dernier cas en date, l’hommage à Alain Amobé Mevegue. Pour le journaliste camerounais décédé en France, des témoignages d’estime et de reconnaissance pour l’œuvre qu’il a accomplie sont venus de partout.


L’oraison funèbre a souligné que le disparu se moquait des postures. De son vivant, il n’entrait pas dans les débats qui touchent les affects sans nourrir l’intellect. L’on a aussi retenu qu’Alain n’était pas de ceux pour qui la défense de l’identité nationale se résume au combat entre les clochers politiques. Pour un hommage, cela valait la peine dans un contexte où les opinions et les chapelles ont, si souvent, pris le pas sur le respect des faits et les leçons qu’on doit en tirer. Et pourquoi? La mort d’Alain a touché le pays dans son âme même. De quelque façon qu’on prenne les choses, en effet, la tonalité et l’intensité des réactions publiques ont fini par élever la disparition de ce Camerounais de la diaspora au rang d’événement.

Mais au-delà du départ définitif d’Alain, le sujet à vrai dire est immense. Car ce que dit cette mort, de manière caricaturale et sans précautions, se résume en une question. Nos politiques ont-elles pris conscience que l’important n’est ni de donner un poisson à ceux qui ont faim, ni de leur apprendre à pêcher, ce qu’ils savent faire naturellement, mais de leur donner des droits de pêche et des possibilités de les exercer? Habitués aux sentiers battus, nos amateurs de raccourcis en tout genre ont soigneusement évité d’affronter les questions et les réflexions portant sur le pourquoi le chez nous n’offre pas suffisamment d’ouvertures pour l’éclosion des talents.

Vedette aimée et respectée en Occident, Alain confiait ne pas comprendre pourquoi «chaque année, les pays européens et nord-américains accueillent plusieurs milliers d’Africains et autant de talents». En juin 2016, sur un plateau télé en Côte d’Ivoire, Alain souligna que «parmi ceux qui quittent l’Afrique, certains d’entre eux sont diplômés, d’autres non, mais tous ont des compétences et des expertises recherchées». Ému par le titre de champion du monde des poids lourds d’arts martiaux mixtes (MMA) décroché à Las Vegas le 28 mars par Francis Ngannou, Amobé Mevegue s’intéressa au parcours du premier Africain à obtenir cette consécration mondiale dans la plus prestigieuses des ligues, l’Ultimate Fighting Championship (UFC) américaine. «Faut-il d’abord souffrir dans le désert pour avoir la possibilité de faire ce que l’on aime?», s’interrogea-t-il sur un autre plateau télé au Sénégal.

Fondamentalement hanté par une intuition centrale, selon laquelle «il faut créer des conditions pour que nos enfants ne périssent plus dans la Méditerranée», Alain disait que «les hommages et félicitations scandés pour le succès de l’un des nôtres devraient amener nos politiques à se convaincre qu’ils n’ont pas déverrouillé tout le champ des possibles à tous»; et que «grâce à une politique de recrutement claire et rigoureuse dans la fonction publique, des salaires dignes, l’accès aux financements et la construction planifiée des infrastructures en Afrique, il est très certain que l’Occident serait un enfer».

Jean-René Meva’a Amougou

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