Bangui / Kye-Ossi par route : Les Amazones de l’intégration ne circulent pas librement

Carnet de route décliné par le Réseau des femmes actives d’Afrique centrale de la République centrafricaine.

Participation remarquable du Refac Centrafrique à la Fotrac 2021.

Bangui/Kyé-Ossi… «Environ plus de 1 300 kilomètres» que les femmes de l’association du Réseau des femmes actives d’Afrique centrale de la République centrafricaine (Refac RCA) doivent parcourir. L’objectif est d’assister à la 12ème édition de la Foire transfrontalière annuelle d’Afrique centrale (Fotrac) à Kyé-Ossi au Sud Cameroun du 19 au 29 août 2021. Elles étaient onze âmes au total, âgées de 18 à 65 ans. «Sur la liste de la délégation centrafricaine pour la Fotrac, il y avait treize noms. Mais, deux personnes se sont rendues indisponibles à la dernière minute», informe la coordinatrice centrafricaine du Refac.

Cultivatrices, enseignante, étudiantes, rurales, professionnelles, ces femmes ont décidé d’affronter le soleil, la pluie et la chaleur. Elles ne sont pas, pour la plupart à leur première expérience. Amandine Nambona Ngaro connaît déjà ce trajet: «Nous étions ici pour la première fois en 2010». La représentante de la coordinatrice du Refac de la Centrafrique en dit long sur l’itinéraire Bangui/Kyé-Ossi. «C’est une expérience qui prouve que le flux des populations de la zone Cemac est possible. Les gens peuvent se déplacer au sein de la sous-région pour de multiples raisons».

«Laisser-passer»
Partant de la capitale de la République centrafricaine, Bangui, les Centrafricaines invitées à la Fotrac possèdent comme «laisser-passer» : un visa individuel de sortie, des pièces d’identité et des passeports. Elles ont également une autorisation de sortie du territoire centrafricain signée par le ministre centrafricain du Commerce, un ordre de mission octroyé par la même autorité, une invitation du ministre camerounais du Commerce. À cela, s’ajoute une invitation de participation à la 12ème édition de la Fotrac de Danielle Nlate, la présidente du Réseau des femmes actives d’Afrique centrale. Cerise sur le gâteau, elles ont tenu à voyager avec les drapeaux centrafricain et camerounais à l’avant de leur véhicule.

Le trajet Bangui/Garoua-Boulaï se fait sans encombre. Les femmes de la République centrafricaine du Réseau des femmes actives d’Afrique centrale sont émues de cette première tranche du parcours : plus de 500 kilomètres «en toute beauté». «À cause du climat social et sécuritaire qui règne maintenant à Bangui et ses environs, les déplacements sont sans dangers à présent», confie la coordinatrice des femmes de la RCA du Refac. Elle va plus loin en félicitant le président centrafricain: «Faustin Touadéra a beaucoup œuvré pour la paix dans notre pays, je lui souhaite beaucoup de grâces pour la paix, la maintenir et l’assurer au quotidien au sein du territoire centrafricain afin de favoriser les échanges et la libre circulation dans la sous-région».

Formalités
Arrivées à Garoua-Boulaï, «tout le monde descend, papiers en mains». On vérifie quelques formalités de sortie de la Centrafrique et d’entrée sur le territoire camerounais. «C’est tout à fait normal, pour savoir qui entre, qui sort», mentionne Lydie Nicole Senzongo. La commerçante de 53 ans, ainsi que ses autres compagnes sont quand-même surprises qu’il leur soit exigé de «payer 2000 francs CFA par personne». Leïla Zoungoula n’en revient pas: «malgré tous nos papiers et même les drapeaux du Cameroun et de la République Centrafricaine, ils nous ont obligé à débourser cet argent sinon ils ne nous laissaient pas passer». Elles ont voulu «jouer aux coriaces» en demandant des reçus ou autre chose démontrant la légalité de ce «contrôle payant». Mais le temps qu’elles perdaient au niveau de la frontière Cameroun-République Centrafricaine et le trajet (246 kilomètres) qui leur restaient encore à parcourir les ont convaincues de plier l’échine.

En sortant de la ville de Bertoua, le véhicule de la délégation centrafricaine est de nouveau stoppé par un contrôle routier. Le scénario est similaire qu’au premier contrôle. «Tout le monde à terre… pièces d’identité en mains. On prendra un peu plus de temps, on doit tout fouiller». Tels sont les propos d’un contrôleur routier qu’une centrafricaine reproduit en se marrant avec ses consœurs. Là, «on ne veut pas savoir d’où on vient, où on part, si nous avons les papiers, ou si nous avons des autorisations… il faut payer, il faut seulement payer», déplore la représentante de la présidente du Refac de la Centrafrique. Amandine Nambona Ngaro avoue, en présence des autres femmes de son pays, «qu’ils nous ont demandé de payer 500 francs CFA chacune». Chose faite à contrecœur, «pour qu’on nous laisse continuer le voyage», après tant de négociations.

Impossible de convaincre ces routiers qui font la sourde oreille. Après avoir essuyé plus de six heures de temps dans le véhicule, elles arrivent enfin à Yaoundé. Les plus de 330 kilomètres parcourus laissent sur le visages des voyageuses des traces de fatigue. Un temps d’arrêt s’impose. Un repos est observé au lieu-dit «Pharmacie du palais» pour reprendre la route le lendemain pour Kyé-Ossi. Car un autre un trajet (273 kilomètres) les attendait et de multiples contrôles.

Bonnes actions
Une des bonnes actions évoquées sur le trajet Yaoundé/Kyé-Ossi est «qu’il n’y a pas eu d’argent à débourser au niveau des différentes barrières de contrôle», mais «les contrôles ne blaguaient pas», témoignent les Centrafricaines. «C’était sept à huit barrières de contrôle. Il fallait tout le temps descendre du véhicule avec l’autorisation et l’invitation pour identifier le réseau de femmes», déclare la coordinatrice centrafricaine. Elle avoue que, se présenter de cette manière-là, était à chaque fois insuffisant et ne convainquait pas les contrôleurs camerounais.

«Ils vérifiaient l’identité individuelle de toutes. Ils s’assuraient de l’originalité de nos pièces. Jetaient un coup d’œil sur nos bagages. Ils nous questionnaient sur les raisons de notre présence sur le sol camerounais. Ils voulaient savoir pourquoi nous étions en direction de la frontière… Cela prenait plus de temps. Car les autres véhiculent qui passaient dans les contrôles faisaient à peine deux minutes et repartaient aussitôt».

À les entendre, elles confient qu’il y aurait eu un contrôleur qui a dû appeler à Kyé-Ossi pour être sûr de l’effectivité de la foire transfrontalière. «Ces actions sont à féliciter. Nous sommes étrangères au Cameroun, en plus nous sommes nombreuses. Donc, il faut que les contrôles routiers soient pertinents afin que la libre circulation se passe en toute légalité et en toute sécurité», argumente la coordinatrice de la Centrafrique.

Énervement
Au retour pour Bangui, le voyage de la délégation centrafricaine n’a pas toujours été aisé. Arrivée à Yaoundé dimanche, «nous avons fait une réservation dans l’agence de transport «Touristique» pour un départ à 12 heures pour Bertoua». Se présentant comme convenu à l’agence à 8h30, les femmes centrafricaines du Refac étaient loin de s’imaginer que le départ de Yaoundé serait un supplice. Car la rentrée scolaire qui bat déjà son plein, fait que l’agence est envahie «par une masse terrible de gens». Pas de bus. «On nous a fait comprendre qu’il n’y avait pas de bus disponible…

On nous a demandé d’attendre… Mais l’attente était longue… longue… longue», confie la dame abasourdie. Effectivement, arrivées à 8h30, c’est à 18 heures qu’elles quittent l’agence «Touristique» à Yaoundé, enfin. C’est arrivé à «Awae village» que les femmes centrafricaines vont «voir de toutes les couleurs». Elles racontent que «lorsque nous sommes arrivées dans cette barrière de contrôle…», des regards suspicieux sont lancés dans le véhicule de transport. La coordinatrice sort rapidement pour rencontrer le contrôleur. «Nous avons présenté nos badges et nos papiers à une gendarme. Elle a demandé de nous mettre à part».

Les femmes sont intriguées par ce geste. Pensant avoir à faire à une dame, elles se disent qu’elles auront un traitement de faveur. Mais déception : «la gendarme va aussitôt parler «en patois» à un de ses collaborateurs». Ce dernier semble être doué à la manipulation «pour amener le voyageur à payer». «Son collaborateur est venu vers moi et m’a demandé mon passeport, je lui ai remis». Un coup d’œil rapide sur le document, «puis, il m’a demandé de lui présenter mon carnet de vaccination». La Centrafricaine, sans hésiter, tend à «son bourreau» son carnet de vaccination international. Il lui informe qu’il doit y avoir cinq… puis se met à compter lentement et à voix moyenne: «…1, 2, 3, 4 et 5… » Jusque-là, le contrôle est loin d’être terminé. Il lui demande le vaccin anti-Covid.

Très «clean», la coordinatrice lui montre son vaccin Johnson fait à l’Institut pasteur au Cameroun. Prenant tout son temps et étant maître de son art, «il lui demande une fois de plus son test Covid». Et là, la dame déjà nerveuse, fini par perdre son sang-froid: «tout y est dans mon carnet de vaccination international. Regardez vous-même!» Menaçant, le gendarme insiste qu’il veut «la copie du test». Celle-ci ne change pas de position et ordonne au gendarme: «tout y est dans mon carnet de vaccination international. Regardez vous-même !» Le ton monte… «Madame si vous continuez, je vais froisser votre histoire-ci tout à l’heure».

L’énervement a atteint son comble. «Froissez donc!», lui lance-t-elle. Elle tente de remonter les bretelles du contrôleur: «nous ne sommes pas venues ici au Cameroun nous balader, nous ne sommes pas venues ici au Cameroun parce que nous avons faim… Nous sommes là pour un but bien précis et une cause bien réelle qui est la Fotrac». Voyant le temps passé, les protagonistes tendus, le motoboy de leur voiture lui propose comme conseil de donner 2 000 francs CFA au gendarme. Malgré les coups de fil passés à Danielle Nlate, le gendarme ne fléchira pas. «Le directeur de la gendarmerie m’a appelé pour s’enquérir de la situation dans les détails et m’a communiqué un numéro d’urgence au cas où nous serions une fois de plus dans ce genre de situation».

Épuisées, affamées, «nous n’avons pas mangé depuis le matin». Les femmes centrafricaines du Refac se remettent malgré tout en route pour Bangui. «Je ferai mon rapport et je toucherai les présidences des Républiques du Cameroun et de la Centrafrique pour leur montrer comment la femme, engagée dans la libre circulation est marginalisée». Cette expérience vécue sur la route Bangui/Kyé-Ossi inspire à la coordinatrice un nouveau combat dans son réseau: celui de faciliter le libre-échange dans la sous-région Cemac.

Patrick Landry Amouguy, envoyé spécial à Kyé-Ossi

Danielle Nlate, présidente des Femmes actives d’Afrique centrale

«Nous travaillons tous pour l’intégration socioéconomique, la paix et la sécurité en Afrique centrale»

Nous travaillons tous pour l’intégration socioéconomique, la paix et la sécurité en Afrique centrale et les gouvernants nous accompagnent. Avec las autorités, les institutions nationales et régionales, voire internationales, nous travaillons en parfaite harmonie pour faire bouger les lignes. Mais cela n’a pas empêché que les femmes et les hommes des différents pays d’Afrique centrale aient connu des difficultés pour rallier Kyé-Ossi.

Ils sont pourtant venus d’Angola, du Burundi, du Congo Brazzaville, de la République Démocratique du Congo, du Rwanda, du Tchad, de Sao Tomé-et-Principe… Malheureusement, ils ont été secoués violemment par quelques éléments de police à l’entrée et à la sortie d’Ebolowa le soir du 19 août, malgré les visas au débarquement favorablement octroyés par la haute hiérarchie à Yaoundé, à qui nous témoignons notre reconnaissance en cette période sensible de Covid-19. La délégation centrafricaine, en partance pour Bangui, après avoir brillamment participé à la Fotrac à Kyé-Ossi, composée d’une dizaine de femmes, a été apostrophée par la gendarmerie au poste mixte d’Awae le mercredi 3 août. Tous demandaient des frais d’enregistrement aux différents délégués venus de ces pays. Notez que les citoyens de la Cemac ne payent plus de visas pour voyager dans cet espace ni de pseudos frais d’enregistrement sur les routes.

L’intervention de la police des polices et de la gendarmerie anti-corruption qui répondent aux numéros gratuits 1500 et 1501 a été efficace pour libérer ces personnalités invitées. Le gouverneur de la région du Sud qui avait rassuré solennellement les visiteurs et les participants étrangers que le Cameroun est une terre d’accueil et d’opportunités, a déploré ces actes inconscients de certaines brebis galeuses qui plombent les avancées du processus de libre circulation des personnes et des biens.

Prochain article de la série:

Tous les chemins mènent
en Guinée Équatoriale

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