INTÉGRATION RÉGIONALEMAIN COURANTE

Franc CFA : la surprise des Chefs ?

La reprise économique sera plus difficile sans politique monétaire accommodante et les Chefs d’Etat auront à évoquer la réforme de la coopération monétaire engagée en 2019. Mais les indiscrétions glanées ici et là font état d’une réforme maitrisée en lien avec la conjoncture.

La réforme de la coopération monétaire entre les six pays de la Cemac et la France sera effectivement l’un des sujets du Sommet extraordinaire de la Cemac. Premier indicateur de cette certitude, le rapport sur l’évaluation de la situation macro-économique dans la Cemac en contexte de pandémie du Covid-19 et analyse des mesures de redressement. Le document examiné à Douala le 10 août par les ministres de l’économie, des finances et de l’intégration de la sous-région suggère fortement de faire de la politique monétaire un levier de la relance postCovid-19 afin d’offrir de la flexibilité aux pays de la Cemac. Car la plupart des régions du monde lancent à l’heure actuelle de vastes plans de relance, en utilisant les instruments monétaires et budgétaires massifs dont elles disposent.

Deuxième indicateur, la présence du ministre français de l’économie et des finances, patron des réunions des ministres de finances de la zone franc, aux travaux des chefs d’État. Troisième indicateur, et pas des moindres, le huis clos des ministres de l’économie, des finances et de l’intégration régionale le 12 août à Douala. Un huis clos inhabituel de près de deux heures d’horloge qui réunit uniquement les ministres membres titulaires du Comité de pilotage du Pref-Cemac, le président de la Commission de la Cemac, le gouverneur de la BEAC et le secrétaire permanent du Pref-Cemac. Toutes les personnalités de la sous-région y compris le président de la BDEAC, les experts accompagnant les ministres et les partenaires invités (BAD, CEA, Banque mondiale, FMI) ont été sortis de la salle des travaux.

Scenarii de réformes
Le document examiné et approuvé par les ministres le 10 août offre des pistes de réformes sollicitées par la Beac. Cette réforme reposerait sur trois axes à renforcer : l’indépendance de la banque centrale ; les mécanismes de discipline budgétaire de la Cemac et la résilience de la zone aux chocs exogènes engendrés par les prix du pétrole.
Les pays de la Cemac prétextent le fait que «l’indépendance des banques centrales est
plus que jamais un élément clé de la confiance dans la capacité de remplir le mandat de stabilité
externe et interne de la monnaie». Car la crise de la Covid-19 a accentué partout dans le monde les risques de «dominance budgétaire», c’est-à-dire que les Banques centrales soient sous pression des États notamment pour monétiser la dette publique.

La réforme serait donc cohérente avec les orientations données par les chefs d’État en 2016 et 2019. Elles consistaient au sortir du Sommet de 2019 à «engager une réflexion approfondie sur les conditions et le cadre d’une nouvelle coopération. À cet effet, ils ont chargé la Commission de la Cemac et la Beac de proposer, dans des délais raisonnables, un schéma approprié, conduisant à l’évolution de la monnaie commune».

Le président Paul Biya, président en exercice de la Conférence des chefs d’État de la Cemac avait alors appelé, dans son discours de clôture, à faire preuve de «flexibilité». Une flexibilité qui ne remettrait pas en cause les fondamentaux. Car la réforme de la coopération monétaire avec la France est une partie intégrante de la stratégie communautaire de sortie de crise décidée par la Conférence des Chefs d’État du 23 décembre 2016 en vue de la transformation structurelle des économies de la Cemac, sans ajustement monétaire.
Toutefois, la coopération monétaire est une affaire de souveraineté des États avant tout et une question de compétence des banques centrales en dernier ressort.

Relance
Cette politique monétaire accommodante viendrait donc faciliter la mise en œuvre des axes de réformes structurelles. La pandémie de la Covid-19 a remis au goût du jour des vulnérabilités non résolues depuis plusieurs décennies en Afrique centrale. Au premier chef, l’insécurité alimentaire. Lorsque le confinement déclaré dans les pays fournisseurs a créé la rupture des chaines d’approvisionnement, plusieurs pays de la sous-région ont dû s’armer de plan d’urgence alimentaire pour assurer la disponibilité des produits alimentaires. Cette forte dépendance de la Cemac envers les importations des denrées alimentaires offre toute la pertinence d’un plan agricole sous-régional. La diversification économique basée sur la transformation des produits agricoles locaux permettra à la sous-région de se prémunir des futurs risques d’insécurité alimentaires en cas de choc exogène.

En second lieu, l’intégration physique et commerciale. Certains pays continuent de se fournir sur le marché international tandis que la production locale est sous exploitée. C’est le cas des produits du bois, des produits de l’élevage, des boissons alimentaires entre autres. En renforçant les échanges des biens dans la sous-région, les pays de la Cemac renforceraient leur interdépendance qui se traduirait par davantage de valeur ajoutée et davantage de préservation des devises pour la stabilité extérieure de la monnaie. Il faudrait donc renforcer les infrastructures d’interconnexion et le marketing du «Made in central Africa».

Tout ceci devra être soutenu par un cadre budgétaire solide. Les déficits budgétaires à savoir la dette publique, le solde budgétaire de référence, les arriérés de paiement devront être maitrisés avec rigueur pour optimiser les marges de manœuvres des États. Pour les besoins de financements, les partenaires appellent les États membres à améliorer la mobilisation des ressources intérieures par la modernisation des appareils fiscaux. Les initiatives du Fonds monétaires international, de la Banque africaine de développement et d’autres partenaires seront salutaires pour la réalisation des investissements dans la transformation structurelle.

Remy Biniou

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