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Préservation des biens culturels en temps de conflit : péril et stratégie en Afrique centrale

Savoir et culture, l’étendue du sinistre

Les conflits au sein des États de l’Afrique centrale portent de sérieux coups aux biens culturels, mettant au goût du jour l’absence des mesures de préservation appropriées dans les politiques publiques des États.

Le Cerdotola et l’Unesco en sapeurs-pompiers du patrimoine culturel en Afrique centrale.

Plusieurs pays de l’Afrique centrale étaient du 28 au 29 juillet dernier au chevet du patrimoine culturel de la sous-région. Ils se sont pour cela retrouvés dans la capitale Camerounaise, le cœur de «l’Afrique en miniature». L’initiative était celle du Centre international de recherche et de documentation sur les traditions et les langues africaines (Cerdotola), en partenariat avec l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco). Pendant deux jours, la République Centrafricaine, le Tchad, le Congo Brazzaville et la République Démocratique du Congo ont passé en revue la situation de leur pays respectifs et échangé sur la problématique de la «Conservation et préservation du patrimoine documentaire en Afrique centrale : piliers de la réconciliation et de la consolidation de la paix».

État des lieux
«Les mesures de conservation et de préservation du patrimoine documentaire ne constituent pas pour la plupart des pays de la région un objet de préoccupation en dehors des déclarations et quelques fois des fortes déclarations», commence par dénoncer le Dr Christian Ndombi. Pour le chef du secteur culture du Bureau régional multisectoriel de l’Unesco pour l’Afrique centrale, il ne fait à date aucun doute que les gouvernants de la sous-région ne jouent pas encore franc jeu.

À l’en croire, plusieurs indices permettent de s’en rendre compte. Puisqu’on peut déjà indiquer comme autant de preuves accablantes, que «les autorités considèrent certes que le patrimoine est important, mais les actions ne suivent pas. Les budgets consacrés aux patrimoines documentaires sont faibles et pour certains pays quasiment inexistants. Les infrastructures qui doivent pouvoir loger ce patrimoine, c’est-à-dire les bibliothèques ou les centres de recherche ne bénéficient pas suffisamment des subventions. Les professionnels qui sont chargés d’assurer le maintien de ce patrimoine documentaire soit ne sont pas suffisamment formés soit ne sont pas formés du tout dans les nouvelles technologies», se désole l’universitaire.
Poursuivant son réquisitoire, le responsable onusien pour l’Afrique centrale regrette aussi le manque d’adaptation et l’incapacité des politiques publiques en vigueur à se servir des Technologies et techniques de l’information et de la communication (TIC) à la fois comme levier et bouclier du patrimoine culturel communautaire.

«On a de nouveaux supports, et il est absolument nécessaire de réunir ces différentes conditions pour que ce patrimoine documentaire qui est très important ne soit détruit ni par les intempéries, ni par les conflits, et qu’il soit l’objet des préoccupations des politiques nationales», fait valoir le Dr Christian Ndombi. Avant de renchérir : «sur les onze pays de l’Afrique centrale, on n’a même pas cinq pays qui ont des bibliothèques nationales dignes de ce nom. Et lorsqu’on n’a pas de bibliothèque nationale, on n’a pas à se poser la question sur toutes ces déclarations qui consistent à dire que nous portons une attention toute particulière au patrimoine documentaire. Et je pense qu’une conférence comme celle-ci avec les professionnels est une excellente occasion de faire un plaidoyer et de lancer un vibrant appel à tous les politiques, pour qu’ils accordent un peu plus d’attention au patrimoine documentaire qui est extrêmement important en tant que mémoire de tout un peuple».

Impact des conflits
À ces griefs liés au manque ou à l’inefficacité des politiques publiques existantes, viennent se greffer les conflits multiformes dont l’Afrique centrale est de plus en plus le théâtre. «Nous avons des conflits identitaires au Congo. Depuis quelques mois, le concept de «congolité» s’est inscrit dans l’agenda des politiques. Mais cet exemple n’est pas isolé. Il serait aussi intéressant de jeter un regard sur le Cameroun avec les concepts de la BAS (Brigade anti-sardinards, Ndlr) et de tontinards. En plus nous pouvons également regarder du côté de la Centrafrique avec les coups d’états qui sont l’expression de groupes ethniques contre l’armée. Et très souvent ces conflits ont des conséquences sur le patrimoine documentaire», explique pour sa part le Dr Monty Albert.

Dans son allocution, l’universitaire classe les conflits qui minent l’Afrique centrale en quatre catégories majeures. «La première catégorie est liée aux difficultés de transition démocratique, la deuxième catégorie est celle des conflits à caractère identitaire, la troisième catégorie porte sur la déconstruction et recomposition géopolitique, et la dernière catégorie est celle des conflits de domination. On peut citer pour cela, le cas du Tchad et de la Centrafrique», a-t-il relevé.

Mais pour pouvoir présenter l’impact de ces conflits sur le patrimoine documentaire, il faut sans doute partir des facteurs endogènes et exogènes. «Des conflits peuvent aboutir à la confiscation des informations ou à la confiscation des contenus, les conflits peuvent amener à mettre l’information sous silence et lorsque l’information est mise sous silence, c’est l’accès à l’information qui est piétiné. Déjà cet accès à l’information est piétiné au niveau local, mais vous voyez qu’au niveau plus large, c’est encore plus grave. Mais ce qui est dommage est que lors des conflits, on aboutit à une autre incidence qui est celle de l’espionnage, et contre-espionnage avec les services de renseignement dans le cas des conflits armés. Je ne vous fais pas un dessin sur la veille informationnelle. Qu’elle soit physique ou virtuelle, elle est mise en péril», argumente encore le Dr Albert Monty.

Bilan et perspectives
Pour ce qui est du bilan des impacts des conflits sur l’information et le patrimoine documentaires, il faut noter que l’on assiste globalement à des pertes des biens culturels matériels et immatériels. Les sous-préfectures, préfectures et les mairies qui sont incendiées contiennent des documents informationnels non négligeables. Et il devient très difficile dans ce contexte, de retrouver les sources de certains documents pouvant servir à la postérité.

Au regard des dégâts causés par les conflits sur l’information documentaire, Dr Monty Albert balise le chemin pour une meilleure conservation et protection du patrimoine documentaire. Pour sortir de cette spirale des conflits qui touchent l’Afrique centrale, l’accent doit être mis sur la sécurité. «Nous pouvons dire qu’il ne saurait avoir de développement de l’Afrique centrale sans sécurité, tel qu’on venait de voir la nature des conflits plus haut. Donc, il ne peut avoir préservation et conservation du patrimoine documentaire sans sécurité. La sécurité n’est durablement assurée que si le développement accompagne la paix. De même, les droits de l’homme lorsqu’ils sont dérisoires ne favorisent pas un développement durable. Les solutions que nous donnons se présentent comme des conditions qui peuvent permettre d’assurer une conservation et préservation pérennes du patrimoine documentaire», a-t-il fait savoir.

Par ailleurs, il va s’avérer indispensable de «construire et élaborer des normes qui nous sont propres, et qui sont adaptées à notre environnement. Ceci passe par les lois fortes, et si nous avons des lois qui prennent en compte tous les aspects du patrimoine documentaire. Nous pouvons ajouter à côté de ces administrateurs publics, la transparence et puis la neutralité de nos administrations. Vous savez très bien que l’information documentaire n’a pas d’ethnie, le patrimoine documentaire n’a pas de religion, quand on brûle une mosquée, c’est comme si on brûle une église, quand on brûle un manuscrit datant de trois siècle et dix siècles, ce n’est pas différent d’avoir brûlé tout un village ou de représenter cela pour une partie de l’Histoire de tout un peuple qui finit par disparaître», a encore relevé au cours de sa prise de parole le Dr Albert Monty.

Cela dit, tous les intervenants s’accordent à dire que la démocratie a un rôle important à jouer. Étant donné qu’«elle a une incidence dans la gestion de notre patrimoine. Nous pouvons conclure et dire que la paix, le développement et la démocratie sont liés de manière circulaire, intime et organique dans la préservation et la résolution des conflits. Mais également dans la préservation et la conservation de notre patrimoine documentaire», conclut l’orateur.

Olivier Mbessité

Quand on a tout perdu

Le Centre international de recherche et de documentation sur les traditions et les langues africaines (Cerdotola), en partenariat avec l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) a organisé une conférence internationale de deux jours du 28 au 29 juillet 2021. L’objectif était de permettre aux professionnels de l’information documentaire des différents États de l’Afrique centrale de partager les connaissances nouvelles et de mutualiser leurs expériences en matière de préservation du patrimoine documentaire. Cela au travers d’une démarche plus inclusive et spécifiquement adaptée aux zones de conflits.

En effet, l’Afrique centrale est secouée par des spasmes de divers ordres qui mettent en péril la stabilité des États. Et de plus en plus, les conflits se métastasent dans les pays voisins en raison de la porosité des frontières. Ce faisant, ils laissent sur leur passage des séquelles sur le patrimoine documentaire et affectent la mémoire matérielle et immatérielle des peuples. Au Cameroun, mais en réalité également au Gabon, en République Démocratique du Congo, au Congo, en République Centrafricaine, et au Tchad, on a enregistré de nombreuses pertes. Elles ont pour l’essentiel pris la forme des destructions d’archives, des incendies des mairies, préfectures, ainsi que des sous-préfectures. C’est ce qui fait dire au Dr Chantale Moukoko, chargé des cours à l’Université de Douala que «le 21e siècle pourrait se décrire dans le monde par son agitation aux guerres symétriques et asymétriques».

En dehors des conflits cependant, l’on note des catastrophes naturelles comme les inondations et autres qui elles aussi, contribuent à la perte du patrimoine documentaire. Face à cette situation, il était de bon ton d’explorer les mécanismes économiques, sociaux, culturels, politiques et religieux à l’origine des prédations sur le patrimoine documentaire dans les zones de conflits armés. Mais en plus, il était question au cours des assises de Yaoundé, de définir les stratégies à proposer aux pays dans le cadre de la sauvegarde du patrimoine mis en danger. La perspective était alors de permettre aux États de recevoir des programmes, ainsi que des plans de sauvetage et de récupération des documents endommagés. Lire notre zoom.

Olivier Mbessité

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