INTERVIEWPANORAMA

La condamnation à perpétuité de M. Guillaume Soro en Côte d’Ivoire

Il serait vraiment étonnant que ce verdict change beaucoup. Ce d’autant plus que cette condamnation pourrait arranger nombre de ses adversaires politiques dans son pays qui y voit une élimination à moindre frais d’un acteur de poids et dangereux, sans oublier tous ceux qui estiment qu’il est temps que M. Soro paye pour tout le mal qu’il a fait aux Ivoiriens et à son pays la Côte d’Ivoire depuis le début des années 2000.

Au vu de la reprise du dialogue entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, le ministre plénipotentiaire et sous-directeur au ministère camerounais des Relations extérieures, analyse les implications de la condamnation de Guillaume Soro et calcule les chances de cet acteur politique majeur de pouvoir encore peser sur la scène ivoirienne.

 

Simon Pierre Omgba Mbida

L’ex-Premier ministre et ancien président de l’Assemblée nationale ivoirien, par ailleurs ex-chef rebelle, Guillaume Kigbafori Soro, 49 ans qui vit en exil en Europe depuis plus de deux ans suite à son désaccord avec le président Alassane Ouattara, a été condamné, par contumace le 23 juin 2021 par le Tribunal criminel d’Abidjan à la prison à perpétuité. M. Soro et 19 de ses partisans étaient accusés de « complot », « d’atteinte à la sûreté de l’État » et « tentative d’atteinte contre l’autorité de l’État », ainsi que de « diffusion et publication de fausses nouvelles », pour des faits commis fin 2019. Pendant les enquêtes, des armes ont été découvertes à son domicile à Assinie et à Abidjan.

En effet, il était accusé d’avoir fomenté avec ses partisans une insurrection civile et visant à renverser le pouvoir lors de son retour avorté en Côte d’Ivoire en décembre 2019, dix mois avant l’élection présidentielle d’octobre 2020. Donc, outre Soro, le Tribunal criminel a condamné à 20 ans d’emprisonnement, cinq autres co-accusés également jugés par contumace, dont l’ancienne ministre de la Communication, Affoussiata Bamba Lamine, ainsi que six militaires.

Les frères de l’ancien Premier ministre, Rigobert Soro et Simon Soro, ainsi qu’Alain Lobognon et Sékongo Félicien ont écopé chacun de 17 mois d’emprisonnement pour « troubles à l’ordre public ». Ils sont libres et pourront rentrer chez eux, puisqu’ils étaient en prison depuis le 23 décembre 2019.

Les autorités avaient basé leurs accusations sur ce qu’elles présentaient comme des enregistrements téléphoniques dans lesquels Guillaume Soro évoquait ses soutiens au sein de l’armée, se disait « positionné un peu partout » et indiquait avoir la « télécommande » pour passer à l’action. Selon le procureur Richard Adou, des perquisitions avaient aussi permis de saisir une cinquantaine de fusils d’assaut Kalachnikov et des lance-roquettes.

La Cour d’assises d’Abidjan a donc suivi les réquisitions du parquet. Les peines prononcées par le Tribunal criminel sont conformes aux réquisitions du procureur Richard Adou. Le procureur avait requis la perpétuité dans ce procès qui a débuté le 16 mai dernier. Le mouvement politique de Guillaume Soro, Génération et Peuple Solidaire le (GPS) accusé de se livrer à « des actes subversifs » ainsi que de « diffusion et publication de nouvelles fausses jetant le discrédit sur les institutions et leur fonctionnement, ayant entraîné une atteinte au moral des populations » a également été dissout. Dans la même veine, la cour a aussi ordonné la confiscation de ses biens. Elle a enfin ordonné aux condamnés de payer solidairement 1 milliard de francs CFA (soit 150 millions d’euros) à l’État ivoirien. Il y a lieu de rappeler à ce stade que son ancien allié, le président Alassane Ouattara avait déclaré en octobre au sujet de Guillaume Soro, que « pour lui ce sera la prison à perpétuité ». Enfin, un mandat d’arrêt contre Guillaume Soro a immédiatement été délivré par les autorités judiciaires.

L’ancien Premier ministre ivoirien et ex-chef rebelle Guillaume Soro lui-même, et c’est tout à fait légitime voire compréhensible dans sa position très inconfortable, rejette en bloc les accusations qui pèsent contre lui et dénonce un procès politique. Il est désormais clair et acté que la justice ivoirienne vient de sceller définitivement son sort politique avec cette deuxième condamnation consécutive dans un intervalle de temps très court comme pour enfoncer le clou.

La réaction vigoureuse et prévisible de Guillaume Soro ne s’est pas fait attendre : « je rejette totalement ces verdicts iniques, prononcés en dehors de toutes les règles de droit et dictés uniquement par des considérations d’ordre politique ». Pour lui, « ce procès aura démontré, une fois de plus, la compromission de l’appareil judiciaire ivoirien et sa soumission volontaire aux diktats de l’Exécutif ». « Ces verdicts viennent renforcer ma conviction qu’il faut se battre courageusement et sans faiblesse contre la captation de l’État ivoirien et la mise sous tutelle de toutes ses institutions », a-t-il ajouté.

Deuxième
condamnation Il s’agit de la deuxième condamnation de Guillaume Soro en 14 mois. En avril 2020, l’ex-président de l’Assemblée nationale avait déjà écopé de vingt ans de prison ferme et de 4,5 milliards de francs CFA (soit 8,2 millions USD) d’amende, ainsi que de la privation de ses droits civiques pour une période de cinq ans après avoir été reconnu coupable de recel de détournement de deniers publics et de blanchiment de capitaux. C’est pour avoir tenté, selon la justice, de s’approprier, grâce à des fonds du Trésor public ivoirien, une résidence achetée par l’État à Marcory résidentiel, un quartier huppé d’Abidjan, en 2007 pour le loger lorsqu’il était Premier ministre. Cette condamnation avait justifié l’invalidation quelques mois plus tard de sa candidature à la présidentielle du 31 octobre 2020.

Depuis 2012, il a été poursuivi dans divers dossiers pour plusieurs chefs d’inculpation. En 2015, à la suite d’une plainte déposée à Paris, la justice française avait émis un mandat d’emmener contre lui. Guillaume Soro avait, par la suite, été épinglé par la justice du Burkina Faso où un mandat d’arrêt international avait été émis contre lui. Il était impliqué dans un projet de coup d’État visant à faire chuter le régime en place de ce pays voisin. À la suite de la rébellion de septembre 2002 qui a endeuillé des milliers de familles, plusieurs plaintes ont été déposées aussi bien devant la juridiction ivoirienne qu’à l’étranger.

Chef de la rébellion qui contrôlait la moitié Nord de la Côte d’Ivoire dans les années 2000, Guillaume Soro avait aidé militairement Alassane Ouattara à accéder au pouvoir lors de la crise postélectorale de 2010-2011 face au président sortant Laurent Gbagbo, qui refusait d’admettre sa défaite dans les urnes.

Après la victoire, Guillaume Soro était devenu le premier chef du gouvernement d’Alassane Ouattara, puis avait été nommé en 2012 président de l’Assemblée nationale, poste qu’il a occupé jusqu’en 2019. Mais les deux hommes se sont peu à peu brouillés, jusqu’à la rupture consommée début 2019, en raison, selon les observateurs, des ambitions présidentielles de M. Soro.

Au regard du retour récemment enregistré de Laurent Gbagbo dans le pays, on est en droit de s’interroger sur l’objectif et la nécessité de ce verdict juridique, ainsi que du « timing » utilisé. Maître Raoul Gohi Bi, l’un des avocats de Guillaume Soro, s’insurge contre cette peine et entend faire appel. Il dénonce la dissolution du mouvement de Guillaume Soro et estime que « nous sommes en danger ». D’après le principal concerné, cette décision de justice vise à l’éliminer du landerneau politique ivoirien et indique également que la justice est aux ordres de l’exécutif en place en Côte d’Ivoire. « Il n’est caché à personne que le but ultime de ce procès est de porter un coup d’arrêt au projet politique dont je suis porteur et de m’écarter définitivement du jeu politique en Côte d’Ivoire ».

Pour rappel, Guillaume Soro a la possibilité de faire appel de cette décision de justice selon la loi. Mais compte tenu de la gravité des faits qui lui sont reprochés, il serait vraiment étonnant que ce verdict change beaucoup. Ce d’autant plus que cette condamnation pourrait arranger nombre de ses adversaires politiques dans son pays qui y voit une élimination à moindre frais d’un acteur de poids et dangereux, sans oublier tous ceux qui estiment qu’il est temps que M. Soro paye pour tout le mal qu’il a fait aux Ivoiriens et à son pays la Côte d’Ivoire depuis le début des années 2000.

Cependant, malgré toutes les évidences et les motifs de droit avancés et invoqués par la justice ivoirienne, le procès est jugé politique par certains, car l’ancien Premier ministre ivoirien et ex-chef rebelle Guillaume Soro lui-même, et c’est tout à fait légitime voire compréhensible dans sa position très inconfortable, rejette en bloc les accusations qui pèsent contre lui et dénonce un procès politique. Il est désormais clair et acté que la justice ivoirienne vient de sceller définitivement son sort politique avec cette deuxième condamnation consécutive dans un intervalle de temps très court comme pour enfoncer le clou.

Au demeurant, il y a quand-même lieu de s’interroger sur la dissolution du GPS demandée par le procureur, qui montre plus ou moins dans une certaine mesure le caractère politique du procès. Parce qu’il n’appartient pas en principe au juge pénal de prononcer la dissolution d’une association.

Simon Pierre Omgba Mbida

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *