INTERVIEWPANORAMA

Charles Bongwen Linjap : «Voir l’eurobond uniquement en termes de bénéfices est néfaste»

L’économiste, diplômé de l’African Leadership Institute de Johannesburg, siège au sein de la Commission de l’investissement de l’Union africaine. Il est par ailleurs Directeur de Investment Watch. En posture d’expert de la Plateforme d’information et d’action sur la dette (PFIAD), il donne des éclairages sur certains enjeux économiques d’actualité à l’échelle nationale et internationale.

Tout à l’heure, on vous a entendu dire qu’à peine 20 ans après, nous voici revenus quasiment au point de départ, en parlant des retombées concrètes de l’Initiative PPTE dont a bénéficié le Cameroun en 2006. À quoi faites-vous allusion ?
C’est l’histoire récente du surendettement qui importe le plus parce qu’elle exige de manière urgente que l’on reconnaisse qu’on a échoué. J’estime que le surendettement et les crises socio-économiques et financières qui en résultent ne se sont pas produits par hasard : c’est le résultat direct de décisions politiques sans lien avec la réalité. À cet effet, il importe de rappeler que depuis 2010, le Cameroun a adopté le DSCE qui a couvert les 10 premières années de sa vision. Celle-ci a donné lieu à un programme ambitieux d’investissement, à travers de grands projets dits structurants couvrants tous les secteurs. Les Camerounais étaient donc en droit d’attendre un véritable bond de leur situation économique. À ce jour où en sommes-nous ? Les résultats obtenus n’ont pas été à la hauteur des espérances et des promesses. Le taux de croissance est resté désespérément faible, atteignant très rarement 4%, y compris avant le Covid-19. Ce n’est pas tout. Dans les prochains mois, cette paupérisation risque encore de s’accélérer puisqu’une nouvelle crise de la dette publique externe (celle qui est contractée par les pouvoirs publics à l’égard des créanciers privés et publics étrangers pour lutter contre la pandémie) est en préparation.

Entre autres faits qui dominent l’actualité économique, il y a ce qu’une certaine opinion considère comme un exploit, le fait que le gouvernement ait réussi à lever à Paris 450 milliards de FCFA avec un taux de couverture de 321%. Quels commentaires en faites-vous ?
Il faut dire que ceux qui parlent d’exploit ne voient pas le piège contenu dans cette affaire. Voir l’eurobond uniquement en termes de bénéfices est néfaste. Les pays occidentaux s’endettent en leur monnaie auprès de leurs opérateurs économiques. Le Cameroun quant à lui s’endette en monnaies étrangères c’est à dire en devises. Ce qui aura des conséquences néfastes sur notre balance de paiement, voire commerciale qui deviendront de plus en plus déficitaires. Il est à redouter que le Cameroun remboursera au gré des fluctuations du dollar.

Se pose alors la question de l’efficacité des différentes initiatives mises en place au niveau international pour traiter le problème de l’endettement des pays comme le nôtre ?
Absolument, en pointant le FMI et la Banque mondiale qui en sont les chefs d’orchestre ! C’est des questions qu’il faut poser, tant la gestion internationale du problème de la dette s’est révélée inefficace. Cela nous amène également à nous interroger sur les objectifs politiques poursuivis par les grands bailleurs de fonds internationaux réunis au sein des IFI, du G7 du G8 et maintenant du G20.

Vous avez également parlé de ratés et de projets qui piétinent. Ne peut-on pas y voir la main des bailleurs de fonds en plus de celle du gouvernement ?
Beaucoup de prêts ont servi à financer des «éléphants blancs». De plus, à chaque étape, l’absence de diligence et de précaution de ces bailleurs de fonds est évidente. En effet, dès le début, certains projets entrepris ont comporté d’énormes risques financiers. À aucun moment, les bailleurs ne firent état du manque de sérieux dans les études initiales des constructeurs et des bureaux d’études étrangers impliqués. Ici au Cameroun, vous connaissez des projets financés par des bailleurs de fonds étrangers qui ont nécessité des rallonges conséquentes suite à une première estimation erronée. À certains concitoyens, on reconnaîtra l’exploit de prestidigitateur d’avoir utilisé la crise sanitaire pour se remplir les poches, par exemple.

Ne pensez-vous pas à l’urgence d’un audit de la dette ?
Nous de la société civile, nous y travaillons. En rapport avec votre question, nous pensons effectivement qu’un audit généralisé sur la gouvernance publique est nécessaire. Il permettrait de fournir des explications sur l’usage des 25 000 milliards FCFA affectés à l’investissement et dilapidés en pure perte au cours des 10 dernières années.

Selon vous, que faut-il faire pour atténuer les effets de la dette sur un pays comme le nôtre ? Comment faire pour avoir notre argent à nous et qui pourra plus être inutilement dépensé ?
Les commentateurs de mesures d’« assainissement » des finances publiques qu’on fait passer pour indispensables omettent soigneusement de relever un fait essentiel. Dans l’application de ces «thérapies de choc», les gouvernements se gardent bien de s’en prendre à l’impôt alors que l’on sait qu’ici au Cameroun, les plus riches disposent de nombreuses astuces pour y échapper. Il faut donc que le gouvernement mette en œuvre une politique de mobilisation des impôts supplémentaires comme l’institutionnalisation de la taxe foncière; par exemple avec l’utilisation des technologies, de la géocartographie afin de garantir que ceux qui possèdent plus de maisons paient plus d’impôts à l’État.

Je pense également que le Cameroun gagnerait à s’aligner sur le système multilatéral d’échange automatique d’informations entre les pays de l’OCDE afin d’empêcher les flux financiers illicites en provenance du Cameroun. Ce serait une alternative à la mobilisation des revenus supplémentaires pour notre pays.

Interview réalisée par
Jean-René Meva’a Amougou

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *