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Bonnes feuilles : Fisc souverain et souveraineté du fisc

David François Nyeck est Camerounais et expert-comptable émérite. Il est l’auteur de deux essais sur la fiscalité souveraine. Les ouvrages tiennent tous sur une ligne de force : une nouvelle approche relationnelle entre l’Etat et les entreprises. Extraits.

Comprenons-nous bien : personne ne peut collecter une somme qui n’a pas été initialement facturée à un tiers. Alors l’opérateur peut-il collecter un impôt qui n’est pas inclus ses prix de vente ? Par exemple : l’impôt sur le bénéfice est évalué à combien dans vos prix de vente ? Il ne s’agit pas d’un montant imaginé, mais d’une somme d’argent parfaitement identifiée. Vous n’avez qu’à voir cet exemple de la structure du prix du carburant ! Nos prix de vente obéissent-ils à la même logique? Et comment peut-on s’acquitter convenablement de ses obligations fiscales si le prix de vente de nos marchandises n’a pas un contenu fiscal structuré ? Les opérateurs économiques ont besoin d’un coaching comme les joueurs d’une équipe de football. Le coaching est reconnu comme un maillon essentiel de l’opérationnalité et la performance d’une équipe de football.

Pourquoi pense-t-on qu’il puisse en être autrement concernant les opérateurs économiques doivent faire face à une législation complexe et, de surcroît, instable. La réussite de la collecte des #impôts passe par là. L’Etat doit investir dans le coaching des opérateurs économiques
Un regard sur l’Examen de conformité fiscale.

L’examen de conformité fiscale est une mesure française récente qui «externalise» aux professionnels du chiffre et du droit, ce que l’on pourrait appeler un contrôle partiel de la comptabilité au regard des obligations fiscales qui incombent à l’entreprise. L’originalité ici étant que les redressements subséquents ne donnent pas lieu aux sanctions habituelles que sont les pénalités et les intérêts de retard. Naturellement, ce contrôle intervient après la clôture de l’exercice.

Dans notre livre «la fiscalité souveraine», nous défendons la thèse selon laquelle, il est possible de sortir de la présomption de l’évitement ou de la dissimulation de l’impôt qui pèse sur l’opérateur économique, en adoptant une gestion prudente et responsable de la fiscalité à travers une bonne structuration du prix de vente de ses marchandises. Ceci tranche avec le concept français de l’examen de conformité fiscale, qui se réalise après la clôture de l’exercice, alors que l’argent censé financer l’impôt d’une période donnée provient exclusivement des recettes contemporaines de l’entreprise. Si d’aventure cet examen atteste qu’une partie significative des impôts de la période n’a pas été facturée et, au mieux, encaissée, comment financer cette erreur ? Tant qu’un pays vit avec le corset des importations massives et déstabilisatrices, il a peu de chances d’améliorer ses recettes fiscales. Sa consommation nationale finance les salaires dans les pays exportateurs, qui se convertissent en consommation là-bas, et non chez lui.
La valeur ajoutée dégagée par l’activité d’achat-revente en l’état est tellement faible qu’elle est incapable de créer un niveau de pouvoir d’achat pouvant soutenir une consommation locale substantielle. Dans ces conditions, les recettes fiscales ne peuvent guère prospérer significativement.

Plus grave encore : comment concilier la mission du commissaire aux comptes avec cet examen. N’est-ce pas insinuer que la certification de la régularité et la sincérité de l’information financière d’une entreprise peut s’autoriser l’exclusion des comptes liés à l’impôt?

Ensuite, c’est comme s’il faudrait nécessairement l’Examen de conformité fiscale, pour que le commissaire aux comptes soit contraint de se prononcer sur régularité de l’information financière liée à l’impôt !

Cette mesure d’amnistie fiscale exceptionnelle est à saluer. Cependant il ne faudrait pas ignorer les questionnements auxquels doit faire face l’image de la profession comptable.

En définitive, n’est-ce pas plus indiqué, à l’avenir, de se vacciner plutôt que le risque de la respiration artificielle ?

Comment l’État peut-il prétendre améliorer ses recettes fiscales, alors qu’il ne prend pas la peine de s’assurer que tous les prix pratiqués, sur toute l’étendue du territoire national, incluent tous les #impôts prévus par la réglementation fiscale en vigueur dans le pays?

Les contrôleurs des prix vont dans tous les marchés, dans toutes les #entreprises pour s’assurer que les prix pratiqués respectent la réglementation en vigueur. On se demande d’ailleurs pourquoi ils ne s’intéressent jamais à la présence des #impôts dans les prix? Le jour où l’administration fiscale comprendra que c’est à travers les prix des marchandises que l’impôt est payé et collecté, sa place ne sera plus dans les bureaux, mais sur le terrain comme les contrôleurs des prix du ministère du commerce C’est vraisemblablement un levier très efficace qui devrait conduire vers une explosion des recettes fiscales.

Beaucoup de chefs d’entreprises peinent à faire des prévisions sur leur bénéfice annuel. C’est une lacune incompréhensible, depuis l’institution du minimum de perception.

Ce dernier est fixé à 2,2% du chiffre d’affaires. C’est-à-dire que pour l’Etat le déficit n’est pas justifiable : il a donc créé un bénéfice fiscal minimum de 6,67% du chiffre d’affaires, qui engendre le même montant d’impôt, au taux de l’impôt sur le revenu de 33%. De manière plus large, le bénéfice doit être considéré comme la rémunération des capitaux propres investis dans l’activité ; c’est une charge d’exploitation. Et par conséquent il doit être incorporé dans le prix de vente de la marchandise. Sinon il ne sera pas financé. À travers ce minimum de perception, les hommes d’affaires devraient s’apercevoir qu’il se cache certainement d’autres messages : (1) le fait que le déficit doit être assimilé à un placement des capitaux propres à un taux négatif : (2) il pourrait également être qualifié de faute lourde de gestion, étant donné que la création d’une #entreprise est motivée par la recherche du profit (3) il est la preuve de la négligence, voire d’une ignorance coupable, vu qu’il exprime une mauvaise configuration des charges de structure par rapport aux conditions réelles de fonctionnement de l’entreprise.

Exemple : une compagnie aérienne qui gère 4 ou 5 avions avec 407 salariés. L’argent lui vient d’où pour les payer ?

L’incorporation des impôts dans le prix de vente n’est pas une innovation. C’est une vieille pratique qui concerne toutes les charges d’exploitation. Son mécanisme s’appelle: le coefficient multiplicateur.

Il doit être mis à jour au début de chaque exercice, avec les données de l’année précédente révisées, pour s’assurer de la pertinence de ses prix de vente (impôts inclus) tout au long du nouvel exercice. Ceci implique deux choses : (1) l’établissement d’un budget pour l’exercice ; (2) une parfaite maîtrise de la technique de calcul du coefficient. Le drame c’est que peu d’acteurs savent faire ces calculs. On dirait même que la plupart des conseils n’ont pas conscience de l’impérieuse nécessité de cet outil, ou peut-être ne sont pas au courant de son existence. Ce sont ces défaillances, qui constituent le fondement majeur des accrochages entre le fisc et les opérateurs économiques.

En revanche, l’entreprise vit un véritable «calvaire», dans ses rapports avec l’Etat, à cause du préfinancement des impôts.

Car, entre le moment où l’argent des impôts est avancé à l’État (selon le calendrier fiscal officiel) et la date à laquelle la marchandise porteuse de ces impôts est vendue et l’argent encaissé, il va s’écouler une semaine, un mois, une ou plusieurs années voire l’éternité. C’est ça, en fait, le terrible «goulot d’étranglement financier», que vit l’entreprise dans ses rapports avec l’État en matière d’impôt. C’est ce qu’elle appelle, à tort, la pression fiscale. Un diagnostic mal posé n’aboutit à aucune solution, c’est pour cela que le combat entre l’État et l’entreprise est sans fin.

Il faut absolument rompre avec une certaine ambiguïté au sujet de statut fiscal de l’entreprise. Elle est le sous-traitant de l’administration en matière d’impôts, c’est-à-dire un collecteur d’impôts et non un contribuable.

C’est d’ailleurs à ce titre que la loi lui demande de calculer tous les impôts prévus par la réglementation fiscale en vigueur concernant son activité, de les incorporer dans les prix de vente de ses marchandises, de les encaisser ors de la réalisation de la vente et d’en reverser le produit au Trésor public. Ceci n’a rien à voir avec celui qui paie ces impôts, c’est-à-dire le consommateur final. C’est-à-dire celui qui ne revend pas (sous quelque forme que ce soit) ce qu’il achète. En clair donc, l’impôt est exclusivement financé par ses ventes, parce que l’unique source de revenus de l’entreprise est son chiffre d’affaires.

Jean-René Meva’a Amougou

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