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«En termes de mauvaise publicité, c’est parfois dur à tenir»

Le sociologue explique les déclinaisons qu’un scandale lié à la publication d’une sextape dans l’espace public peut avoir sur le corps social en général et des individus en particulier.

Hans Assoumou

Une sextape circule en boucle ces derniers temps sur les réseaux sociaux. Avec la tournure qu’ont pris les événements, cette sextape a cessé d’être un scandale pour prendre la forme d’une affaire. Comment comprendre cette mutation?
Un scandale se transforme en affaire, dès lors que le dénonciateur fait à son tour l’objet d’une accusation de la part de l’accusé ou de ses alliés. Dans ce cas, le public tend à se diviser en deux camps, qui peuvent être fort inégaux en nombre mais n’en manifestent pas moins une rupture publique d’unanimité : le camp des accusateurs de l’accusé et celui des accusateurs de l’accusation qui le frappe.

Pour le cas Martin Camus Mimb que vous insinuez, le scandale provoqué par une sextape tournée dans les bureaux de son entreprise est justement devenu une affaire et constitue un moment particulièrement agité de transformation sociale et de réversibilité des positions. Car une indétermination radicale est venue soudain à peser sur la désignation des places de coupable et de victime.

 

Est-il normal qu’une société codifiée par certaines valeurs voit celles-ci bafouées par de tels scandales ou affaires ?
Le scandale est un phénomène connu de toutes les sociétés humaines. Une fois, en effet, que nous lui reconnaissons une forme d’universalité, il devient impossible d’envisager le phénomène scandaleux comme «anormal» au sens proprement sociologique. De la même façon que le crime ou le suicide, le scandale est à concevoir comme un moment certes peu banal et particulièrement violent de la vie sociale mais néanmoins «normal».

C’est la reconnaissance de cette normalité qui incita les anthropologues fonctionnalistes à tenter de lui attribuer une fonction (de contrôle social, de hiérarchisation, de régénération du groupe). C’est elle qui doit nous inviter à saisir positivement les logiques de la dénonciation et de la provocation publiques, plutôt que d’envisager ce type d’actes comme s’il s’agissait d’anomalies comportementales ou de manifestations collectives d’irrationalité.

Effraction des consciences dont le surgissement brutal déroute la raison et laisse un mélange de profonde incompréhension et de perplexité abasourdie, le scandale est donc cet éclat, qui fait l’esclandre. Il est, en effet, le désordre, la rupture de l’ordre, dans le bruit du tapage comme dans le silence de la stupéfaction. Il est la transgression fracassante et imprévue d’une valeur, d’une norme, et plus généralement d’un ordre, non plus seulement religieux, mais social.

Quel est le rôle des médias classiques et digitaux dans la propagation des contenus de sextape ?
Le scandale ne peut se penser sans la publicité des faits. Il a bien fallu que votre confrère soit repéré par un seul groupe WhatsApp pour que la suite que vous connaissez puisse aller de soi. Le rôle de médias tous genre confondus est justement de faire de la bonne ou de la mauvaise publicité autour de ce qui s’est passé dans sa radio. Et en termes de mauvaise publicité, c’est parfois dur à tenir.

Il couvre en effet de honte celui qui en est au cœur, car il porte irrémédiablement atteinte à sa réputation. Le scandale déshonore et peut donc mener à la mort – avant tout sociale – celui qui, toujours coupable (même par négligence), perd irrémédiablement la face. Vous avez donc des mea culpa et des séances d’explications qui résonnent comme des réponses apportées par celui qui est au cœur de la tourmente, réponses au préjudice, à ses yeux, irréparable, portés à sa réputation.

Pourquoi cela est surtout vérifiable chez ceux qui, comme on dit, sont sous le feu des projecteurs sociaux ?
Plus qu’une épreuve, le scandale est une expérience du trouble ressenti face à la contradiction révélée publiquement, car il n’est rien sans la dénonciation publique de la transgression, comme en témoigne ce qui s’est passé chez votre confrère. Il n’est pas besoin de rappeler combien ce scandale, présent depuis plusieurs jours sur la toile, affecte de manière puissante à la fois les concernés et d’autres univers sociaux qui y sont impliqués (le monde médical, celui de la haute administration, de la police, de la justice, l’univers associatif et celui des médias).

Si ce scandale pèse si lourd, c’est sans doute à cause de la charge émotionnelle particulièrement forte qu’il implique et qui est entretenue, notamment par certaines personnes qui s’estiment blessées, dans les médias. Mais c’est aussi parce que pour la première fois, un journaliste est publiquement pris dans le filet ; ce d’autant plus que son aura professionnel a traversé le Cameroun. Bien sûr, on peut s’interroger sur la prolifération de scandales générés par des sextape. Cela incite à focaliser notre attention sur les trajectoires des acteurs qu’il implique, en vue de rendre explicables les attitudes que ces derniers adoptent ou ont adoptés dans un premier temps et les ressources qu’ils tentent ou ont tenté de mobiliser.

Interview réalisée par
Jean-René Meva’a Amougou

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