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Formation, socialisme et démocratie

Un des reproches adressés aujourd’hui aux partis politiques africains, c’est d’avoir abandonné la formation de leurs militants, de ne plus leur enseigner ce qu’est la politique, l’État de droit, le socialisme, le capitalisme ou la démocratie.

Dans le texte qu’on va lire, je montrerai, dans un premier temps, pourquoi la formation est importante pour toute personne. J’essaierai ensuite de répondre à trois questions : que faut-il entendre par socialisme et démocratie ? Y a-t-il un lien entre les deux vocables ? Si oui, qu’est-ce qui les unit ?

I/ Pourquoi est-il important de se former ?

Prenons un exemple simple : celui qui veut enseigner dans un collège ou dans un lycée bénéficie au préalable d’une formation théorique et pratique. Il apprend non seulement comment dispenser des connaissances mais aussi comment réagir dans telle ou telle situation. Sans cette formation théorico-pratique, il lui sera difficile d’accomplir correctement la tâche qui lui a été assignée. On peut donc affirmer, primo, qu’on se forme pour être efficace, pour bien faire le travail qui vous sera confié.

Secundo, celui qui est formé connaît ses obligations et droits. Connaître ses droits, c’est en quelque sorte se blinder contre toute forme d’arbitraire.

Tertio, la personne formée se blinde contre toute manipulation et contre toute intoxication. Elle n’est plus à la merci de ceux qui interprètent mal les textes régissant les communautés religieuses ou les partis politiques. Cette personne ne fait plus partie de ce peuple qui non seulement «périt, faute de connaissance» (Osée 4, 6) mais qui, par ignorance, tremble et s’agenouille inutilement et indignement devant n’importe qui.

Quarto, le monde évolue très vite. La science et la technique aussi. Les solutions aux problèmes d’hier ne conviennent pas nécessairement à ceux que nous devons affronter aujourd’hui. D’où la nécessité d’effectuer un aggiornamento ou mise à jour. C’est en se formant continuellement qu’on peut mettre à jour ses connaissances.

II/ Socialisme et Démocratie

Karl Marx définissait le socialisme comme «une société transitoire entre le capitalisme et le communisme» (cf. ‘Le Manifeste du parti communiste’, 1848). La question qui se pose alors est celle de savoir ce qui distingue le socialisme du capitalisme. Grosso modo, je dirais que le capitalisme s’accommode des injustices et des inégalités sociales, qu’il promeut l’intérêt particulier et que l’existence d’une classe trop riche à côté d’une classe trop pauvre ne lui pose aucun problème. Autant de choses qui poussent Marx à soutenir que le capitalisme «génère pauvreté et détresse sociale».

Le socialisme conçoit-il les choses différemment ? Du mot latin «socius», que l’on peut traduire par «compagnon, allié ou celui avec qui on a un lien», le socialisme est une doctrine qui est en faveur de la justice sociale, de l’égalité, de l’intérêt général et de l’intervention de l’État pour une répartition équitable des richesses. Deux autres traits du socialisme sont l’attention aux pauvres, d’une part, et, d’autre part, la solidarité et la camaraderie qui devraient exister entre ouvriers, paysans et ceux qui ont fait des études supérieures.

L’historien Albert Samuel assimile le socialisme à «un ordre politique qui partage le pouvoir». Il ne s’agit pas ici de partager des postes politiques comme on partagerait un gâteau ou un butin mais de délibérer ensemble afin de parvenir à la construction d’une cité qui offre la liberté, la sécurité et la prospérité à tous les citoyens, ce qui me conduit à aborder la question de la démocratie : comment je comprends cette dernière et qu’est-ce que je pense de son fonctionnement actuel ?

Le mot «démocratie» vient du grec. Il est composé de «démos» (peuple) et de «kratos» (pouvoir). Par conséquent, la démocratie est le gouvernement du peuple par le peuple. Certains ajoutent «pour le peuple» et ils n’ont pas tort car un président africain est élu, non pour enrichir la France, l’Angleterre ou les États-Unis, mais pour améliorer les conditions de vie et de travail de ses électeurs. C’est un régime politique dans lequel le pouvoir est détenu par le peuple (principe de souveraineté) sans qu’il y ait de distinctions basées sur l’âge, la richesse, la compétence ou la naissance (principe d’égalité).

III/ Ce que socialisme et démocratie ont en commun

L’égalité est ainsi ce que la démocratie a en partage avec le socialisme. Elle s’oppose ipso facto à l’aristocratie (pouvoir aux mains d’une élite intellectuelle ou technocratique), à la gérontocratie (pouvoir exercé par les vieux), à l’oligarchie (pouvoir détenu par un petit nombre de personnes), à la ploutocratie (pouvoir détenu par les individus les plus riches), à la théocratie (pouvoir détenu par la caste sacerdotale). Dans une vraie démocratie, le peuple est souverain, c’est-à-dire que ni l’autorité ni l’initiative ne lui sont ôtées. Car, au cœur de la démocratie, il y a l’autonomie, souligne Cornelius Castoriadis qui ajoute : «quand le peuple est dépouillé de sa capacité d’auto-institution et de son autonomie, quand les lois s’imposent de l’extérieur, c’est l’hétéronomie qui prévaut» (cf ‘Quelle démocratie ?’, tome 2, 2013).

C’est dire que, même si cela est important, le fait d’organiser des élections tous les cinq ans, d’avoir une pluralité de partis politiques et de journaux ne suffit pas pour que l’on parle de démocratie dans un pays. En d’autres termes, n’est pas démocratique un pays qui reçoit des ordres de Berlin, de Londres, de Paris ou de Washington, un pays dont la monnaie est contrôlée par un pays étranger, un pays qui n’est pas en mesure d’assurer lui-même la sécurité de son territoire et de ses frontières. Ce qui manque à un tel pays, c’est la souveraineté.

Si la démocratie est «un système qui assure la participation des citoyens aux choix politiques et garantit aux gouvernés la possibilité de choisir et de contrôler leurs gouvernants ou de les remplacer de manière pacifique lorsque cela s’avère opportun» (Jean-Paul II, ‘Centesimus annus, lettre encyclique, 1991), si la loi y est la même pour tous, si elle garantit les libertés individuelles, si elle permet au pouvoir d’arrêter le pouvoir grâce à la séparation des trois pouvoirs  ̶ exécutif, législatif et judiciaire  ̶ (cf. Montesquieu, ‘De l’esprit des lois’), est-elle pour autant irréprochable ? Fonctionne-t-elle aujourd’hui d’une manière satisfaisante ? La réponse de Castoriadis est «non». Pour lui, la démocratie occidentale a été vidée de sa substance parce que «la souveraineté est remise à quelques représentants difficilement révocables».

À mon avis, l’opinion du philosophe français sur le système démocratique dans les pays européens peut aisément s’appliquer à certains de nos partis politiques qui n’ont de démocratie que le nom, parce que la délibération n’y est pas collective, parce que, quand arrivent les élections, certains candidats sont parachutés ici ou là contre l’avis des militants de base, parce que les textes y sont rarement respectés.

J’ai déjà dit que le socialisme visait à obtenir l’égalité sociale. Cette égalité doit commencer dans les partis politiques qui se réclament du socialisme. Car on ne peut pas être pour l’égalité et verser dans le culte de la personnalité, dans l’idolâtrie du chef, etc. Se revendiquer du socialisme qui prône la simplicité et mener une vie de petit-bourgeois comme certains socialistes français (cf. Laurent Joffrin, ‘Histoire de la gauche caviar’, Paris, Robert Laffont, 2006), c’est manquer de cohérence, tout comme il est inconséquent de prétendre se battre pour le petit peuple et de ne fréquenter que ceux qui exploitent, méprisent et écrasent ce petit peuple.

La démocratie n’est pas vécue de la même manière aux États-Unis, en France ou en Angleterre. Il revient donc à l’Afrique de trouver sa propre voie, d’inventer un système qui permette à la fois aux citoyens de participer aux décisions politiques, de choisir et de contrôler leurs dirigeants.

Jean-Claude Djereke

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