Gouvernance : Les dessous de l’interdiction du ‘‘Mouvement 10 millions de Nordistes’’

La version officielle accuse ce mouvement d’agir contre l’unité et l’intégration nationales. En réalité, ses actions de revendications gênaient le sérail jusqu’aux entournures.

Paul Atanga Nji                                                                                                                     Guibaï Gatama

Visiblement, il a secoué la République. Et officiellement, le ministre de l’Administration territoriale (Minat) a suspendu de toute activité le ‘‘Mouvement 10 millions de Nordistes’’ par arrêté pris le 18 novembre 2020 pour son «caractère belliqueux et illégal». En plus de cette interdiction, Paul Atanga Nji menace son porte-parole, Guibaï Gatama, de poursuites judiciaires pour ses «initiatives antirépublicaines» visant «à diviser les Camerounais, en les appelant de manière insidieuse et sournoise à se dresser les uns contre les autres». Le Minat soutient enfin que les objectifs de ce mouvement «vont à l’encontre des idéaux de paix, d’unité et d’intégration nationales inscrits dans la constitution».

Repli identitaire
Cette version officielle trouve des partisans au sein de l’opinion, qui notent que le positionnement du ‘‘Mouvement 10 millions de Nordistes’’ en tant que porte-voix des intérêts des ressortissants des régions de l’Adamaoua, de l’Extrême-Nord et du Nord fait de lui le chantre du repli identitaire et du communautarisme. Paul Atanga Nji n’a pas aussi tout faux en révélant que de nombreux ressortissants de ces trois régions septentrionales l’ont saisi «pour dénoncer ces manœuvres obscures auxquelles ils ne sont ni de près ni de loin associés et dans lesquelles ils ne se reconnaissent pas».
La démarche du fumeux ‘‘Collectif des chefs de délégation permanent régionale du Grand-Nord’’ pourrait corroborer le propos du Minat. Celui-ci a effectué une mission supposément dépêchée par le président de l’Assemblée nationale auprès de El Hadj Mohamadou Abbo Ousmanou et Aboubakari Abdoulalaye, comme lui chefs de délégations permanentes régionales du Comité central du RDPC (au pouvoir) respectivement pour l’Adamaoua et le Nord.

Dans son rapport, le coordonnateur du secrétariat technique, Yaouba Abdoulaye, par ailleurs membre du gouvernement, souligne : «la profondeur des frustrations et des revendications liées à l’étendue des demandes sociales non satisfaites et exploitées et instrumentalisées par des mouvements contestataires non violents tels que ‘‘Opération 10 millions des nordistes’’, ‘’Communautés du Grand-Nord’’ et autres pourrait amener les populations à se soulever contre le régime en place».

Il s’agit donc, à travers ce fameux collectif, de mobiliser les pontes du pouvoir originaires des trois régions septentrionales afin de «relancer l’exhortation des populations du septentrion à se remobiliser et à renforcer leur cohésion et l’union sacrée autour du président de la République».

En réalité, souffle une source se targuant d’une parfaite connaissance de la scène politique locale, Yaouba Abdoulaye s’est entiché du directeur de cabinet du président de l’Assemblée nationale et à l’insu de la 3è personnalité de l’Etat dans une démarche guidée par des calculs personnels. «Le premier souhaite se maintenir au gouvernement qu’il a intégré grâce à l’entregent du président de l’Assemblée nationale et le second espère y faire son entrée si d’aventure son patron n’est pas maintenu en mars prochain au Perchoir», susurre-t-elle.

Problèmes
Des sources dans l’entourage du président de l’Assemblée nationale, comme pour corroborer cette thèse, confessent que ce dernier a reconnu la pertinence des problèmes posés par le ‘‘Mouvement 10 millions de Nordistes’’, et n’a jamais eu la dent aussi dure contre le président de la République, coupable à ses yeux de s’intéresser au Grand-Nord davantage pour son vivier électoral que pour apporter des solutions à sa pauvreté criante.

Caciques
A en croire les mêmes sources, la plupart des caciques du pouvoir dans les régions de l’Adamaoua, de l’Extrême-Nord et du Nord sont officieusement de tout cœur avec le ‘‘Mouvement 10 millions de Nordistes’’. Il suffit de se rappeler qu’il y a 16 ans, le mémorandum du Grand-Nord posait déjà les problèmes de cette partie du pays. Et Guibaï Gatama, le porte-parole du mouvement dissous, était au cœur de cette revendication dont la plupart des meneurs ont ensuite rejoint le camp du pouvoir.

D’aucuns sont donc convaincus que Paul Atanga Nji a juste succombé à des pressions du sérail. Lequel, à leur avis, était gêné jusqu’aux entournures par les dénonciations du mouvement démontrant effectivement que les régions septentrionales sont lésées dans la mise en œuvre des politiques publiques.
Parmi ceux qui avaient intérêt à décapiter le ‘‘Mouvement 10 millions de Nordistes’’, figure en bonne place le ministre de la Fonction publique et de la Réforme administre (Minfopra). Joseph Le a, en effet, été mis en difficulté par ce mouvement lors de la publication des derniers résultats d’entrée à l’École nationale d’administration et de magistrature (ENAM).

Statistiques à l’appui, le mouvement a démontré que les quotas réglementaires réservant 30% des places aux concours administratifs au Grand-Nord n’ont pas été respectés. Après des recours gracieux, le mouvement a saisi la justice en vue de la suspension des résultats. Une source, pour convaincre qu’il tire les ficelles dans l’ombre, souligne la rapidité avec laquelle le Minfopra a relayé sur les réseaux sociaux la décision du Minat.

Mais, se convainc une élite du Grand-Nord, «l’interdiction complexifie la tâche du pouvoir. La cote de sympathie est aussitôt montée en flèche, se traduisant par la création de près de 200 groupes WhatsApp dédiés à la cause défendue par le mouvement». Elle croit ferme que la décision du Minat renforce l’ancrage de cette démarche dans les cœurs des jeunes de cette partie du Cameroun. Comme en son temps un communiqué du Minfopra lu au journal parlé de 13 h de la radio nationale a accru de manière inespérée la visibilité du mouvement.

Bobo Ousmanou

 

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