INTÉGRATION CONTINENTALEUncategorized

Banque africaine de développement (BAD) : Les 10 défis du second mandat de Akinwumi Adesina

Réélu par vote à 100% par les pays africains et occidentaux, le président de la banque africaine de développement a 5 ans pour consolider son projet continental basé sur les High 5 mais il doit franchir à l’institution panafricaine deux caps : la banque sur mesure du développement de l’Afrique,  une banque de développement internationalement standardisée et entérinée.

A la lumière des denses échanges des gouverneurs lors des assemblées annuelles 2020 mais aussi des avis et impressions données dans les coulisses de cet évènement tenu dans un format inédit, le Journal Intégration dégage et présente 10 défis du second mandat du premier président réélu par scrutin de la banque africaine de développement. Mandat qui court dès le mardi 1er septembre 2020.

 Par Bobo Ousmanou

 En situation normale, la réélection de Akinwumi Adesina aurait été célébrée avec faste sur le continent. 3 faits majeurs auraient dicté [légitimement] ce satisfecit : les Etats africains et les organisations africaines ont tenu à respect, avec tact et doigté, le vent de déstabilisation qui a plané sur la banque africaine de développement (Bad) ; l’Afrique a une appréciation globale largement positive de l’action du président de la Bad ; la diplomatie du Nigéria, première puissance économique du continent, vient de réussir un coup de poker pas gagné d’avance.

Malheureusement le contexte, visible à travers le format de visioconférence et de huis clos dans lequel s’est tenue la 55ème assemblée annuelle de la Bad, douche les réjouissances. Pas d’état de grâces pour l’Afrique encore moins pour Dr Adesina. Il devra très vite repartir au travail. Comme il l’a souligné dans son allocution le 26 août à l’ouverture des travaux de l’assemblée, depuis sa bibliothèque, « la crise sanitaire provoquée par la pandémie planétaire du Coronavirus hypothèque 10 ans d’acquis et de travail du développement glanés par les pays africains ». « Il faudra y faire face. La banque y est pleinement engagée » a-t-il ajouté. Bien plus, face à des inquiétudes et requêtes de certains pays, la banque devra réajuster son fonctionnement, son positionnement et ses interventions.

Parmi les inquiétudes, les administrateurs des pays membres non régionaux, dénomination technique qui désigne les pays non africains, ont souhaité qu’après la récente mise en cause, le système de vérification interne soit amélioré. Plusieurs d’entre eux ont également souligné la nécessité de faire converger le positionnement de la Bad avec les exigences internationales défendues par les institutions de Breton wood. Pour ce qui est des pays africains, plusieurs pays ont souhaité que la banque affecte plus de moyens aux Etats et régions qui connaissent des retards de développement et qu’elle examine sérieusement la situation des Etats insulaires qui doivent surmonter un handicap géographique naturel pour développer les échanges. Le consensus des pays membres régionaux s’est établi sur l’invitation à marier la banque aux aspirations et objectifs de développement du continent porté par l’agenda 2063.

Des échanges denses et majoritairement contradictoires. « La banque mondiale veut que l’Afrique soit permanemment en ajustement structurel et voit d’un mauvais œil la disponibilisation des liquidités de la Bad aux Etats africains. C’est à comprendre que le développement de l’Afrique les préoccupe moins que les calculs » livrera un participant sous anonymat qui s’était déjà illustré au récent caucus africain de la banque mondiale. En détails et éclater en 10 axes, les défis de la convergence et de la pertinence de la BAD.

COVID-19

En mettant sur pied un fonds de 5509 milliards 833 millions 046 mille 620 francs cfa soit 10 milliards de dollars (taux de change du 29 août 2020), la banque africaine de développement a voulu offrir aux Etats africains des prêts d’urgence pour la riposte et la relance aux incidences multiformes de la crise sanitaire. Le fonds se compose comme suit : 55% du fonds (5,5 milliards dollars) pour les Etats, 31% (3,1 milliards dollars) pour les organisations régionales à travers les emprunts d’Etat, 1,35% (1,35 milliard dollars) pour le secteur privé.

Pour empêcher l’effondrement des économies africaines mais aussi tirer profit de cette conjoncture pour restructurer les socles économiques à travers les plans de relance, la Bad doit être aux côtés des Etats. Les administrateurs ont appelé à « la mise en œuvre effective dans le respect du cadre de stabilité financière » précise le communiqué final. Tout aussi important, les administrateurs de la Bad demandent à la banque de prendre des mesures « lui permettant de soutenir l’initiative du G20 portant sur la suspension des obligations de service de la dette des pays à faible revenu ».

 Rigueur budgétaire

Certains administrateurs pays de la banque africaine de développement ont donné échos aux critiques du président de la banque mondiale, David Malpass. En février dernier, il avait pointé la responsabilité de l’institution panafricaine de financement du développement dans l’aggravement de la dette du continent. Ceci dû à la « tendance à octroyer trop facilement des prêts ».

Il est donc revenu à plusieurs reprises dans les discussions, le rôle de la Bad pour la garantie de la discipline économique et financière des Etats africains. Elle est appelée à être moins généreuse et permissive. Les administrateurs engage la Bad à agir en « préconisant et en encourageant des cadres de politique macroéconomique prudents, et en fournissant des conseils avisés sur la viabilité de la dette en coordination avec le FMI et la Banque mondiale ».

La banque devra elle-même se protéger des risques

financiers « compte tenu des perspectives très incertaines liées à la pandémie ». D’où l’invitation « à la préservation de la solidité financière de l’institution en actualisant son cadre de viabilité financière, et l’adoption de nouvelles mesures pour créer des coussins de sécurité, gérer les niveaux de prêt ».

Capital et ressources

Toutefois, Akinwumi Adesina devra finaliser l’augmentation du capital et la reconstitution des ressources du FAD approuvées le 31 octobre 2019 lors de l’Assemblée extraordinaire des actionnaires tenue à Abidjan (Côte d’Ivoire). Les 81 actionnaires (pays membres de la Bad) devront faire passer le capital de 56 751 milliards 264 millions 889 mille 500 francs cfa (93 milliards dollars) aujourd’hui à 114 603 milliards 453 millions 348 milles 820 francs cfa (208 milliards dollars. Soit une hausse de 125% en valeur relative et 63 362 milliards 486 millions 226 mille 511 francs cfa (115 milliards dollars). Cette septième augmentation générale du capital sera effective lorsque les Etats auront transmis l’entièreté des souscriptions. En pareille contexte, il faudra suffisamment convaincre lesdits Etats pour qu’ils discriminent. C’est une course contre la montre qui s’engage. Elle devra s’armer d’une diplomatie efficiente.

Concernant le fonds africain de développement (Fad), branche concessionnelle de la Bad, des annonces de contribution d’un montant de 4187 milliards 333 millions 679 milles 337 francs cfa (7,6 milliards de dollars) de la part des donateurs. Il s’agit là d’une hausse de 32 %. Le  Fad permet de soutenir les pays à faible revenu et les États fragiles. Cette opération marque la quinzième reconstitution des ressources du fonds.

Gouvernance interne

L’épisode des accusations de mal gouvernance conférées contre le président réélu n’est pas tourné. Sa reconduction et le score du scrutin qui en a décidé n’est pas une contradiction. Certains pays non africains, actionnaires de la Bad, l’ont très bien fait savoir durant les échanges. De leur point de vue, la procédure qui encadre la dénonciation, la confrontation et la défense des mis en cause n‘est pas optimale. C’est un argument qui avait été présenté par les lanceurs d’alerte ou plaignants.

Un comité ad hoc du conseil des gouverneurs chargé de superviser la revue du cadre de gouvernance de la banque en matière d’éthique et de traitement des plaintes verra le jour. En d’autres termes, les actionnaires de la Bad se chargeront du nouveau dispositif d’enquête de l’institution. La revue du comité « portera sur la politique de dénonciation et de traitement des griefs, le code de conduite des dirigeants élus, le mandat du comité d’éthique et toute autre règle pertinente, et visera à les mettre à jour afin de renforcer la gouvernance du Groupe de la Banque, de garantir les plus hauts niveaux de responsabilité, de crédibilité et d’intégrité et de promouvoir la transparence et l’indépendance » indique le communiqué final de la 55ème assemblée annuelle.

 Spécialisation et action en réseau

A l’effet de remplir le triple objectif : réaliser le financement du maximum de projets phares convergents avec les High 5 ; réaliser un impact significatif à travers les projets construits ; réaliser le développement de l’Afrique, la Bad est invitée à réorienter stratégiquement son action.

Les administrateurs lui proposent de se spécialiser dans les domaines où a elle plus de succès par rapport aux autres banques multilatérales de financement du développement. Pour les autres domaines, elle développerait des synergies, des partenariats. La banque devrait se concentrer sur des domaines bien précis et y mettre toute son énergie, ses ressources afin de construire le maximum de projets.

En développant les complémentarités, elle permettrait aux partenaires, qui sont d’autres institutions multilatérales de financements du développement, de fournir beaucoup d’énergie et de ressources pour un panier réduit de projets de développement.

La Bad, selon l’orientation des administrateurs, devra « renforcer la concentration de son action sur les domaines dans lesquels il possède un avantage comparatif sur les autres banques multilatérales de développement dans le paysage mondial, tout en recherchant des synergies et des collaborations avec d’autres partenaires de développement dans d’autres domaines en vue d’accélérer la mise en œuvre de ses objectifs prioritaires au titre des High 5 ».

 Fossé infrastructurel

Le secteur des infrastructures devrait bénéficier en premier de cette spécialisation de la banque africaine de développement. Pour les gouverneurs (administrateurs), la banque doit « combler le déficit de financement des infrastructures dans les domaines où la Banque a un avantage comparatif, tels que les transports, télécommunications, l’agriculture, l’énergie et l’économie numérique. Nous reconnaissons le rôle critique des infrastructures de santé de qualité pour le continent africain. A cet égard, la Banque doit encore mieux articuler le développement de son rôle dans ce domaine, en prenant en compte les expertises des autres partenaires au développement dans ce domaine et ses capacités internes ».

L’épineux déficit infrastructurel du continent africain n’est plus à démontrer. Il est la source du retard industriel de l’Afrique, de l’insuffisant développement des échanges, de la concentration de la pauvreté en milieu rural malgré les richesses qui s’y trouvent, du danger que fait peser la mauvaise urbanisation en Afrique.Les perspectives économiques africaines de le Bad indiquent que « 130 à 170 milliards de dollars par an seraient nécessaires au développement des infrastructures du continent ».

Zone de libre-échange continentale africaine

Dans ses perspectives économiques régionales 2019, la banque a présenté les 5 mesures de politique commerciale qui peuvent amener le commerce intraafricain à faire gagner à l’Afrique 134 milliards dollars par an. Le marché unique africain peut effectivement être le « game changer » qu’on lui prédit. Des réformes de transformations structurelles sont nécessaires. Faire tenir à la Zlecaf toutes ses promesses, c’est une tâche à laquelle la Bad va s’engager inexorablement. Les administrateurs ont souhaité que la banque se positionne dans la « mise en œuvre de la zone de libre-échange continentale africaine, qui a tout le potentiel pour augmenter la croissance du continent, accroître sa compétitivité, améliorer le climat des affaires, et développer les investissements et les chaînes de valeur régionales et continentales ».

Un sujet, somme toute, pas étranger à l’institution. Le 1er avril 2019, elle a largement contribué à la mise en place du secrétariat de la Zlecaf en octroyant une subvention de 4,8 millions dollars en avril 2019. Le secrétariat de la Zlecaf a été inauguré le 17 août et transféré à l’Union Africaine.

 Intégration régionale

La Bad est invitée à renforcer l’étroite collaboration qu’elle entretient avec les organisations d’intégration africaine notamment l’Union Africaine et les communautés économiques régionales. L’objectif est de faire converger les priorités de développement notamment l’agenda 2063 et les documents de stratégie d’intégration régionale. Les administrateurs ont indiqué « nous conseillons vivement au Groupe de la Banque d’approfondir sa collaboration avec l’Union africaine et les Communautés économiques régionales (CER) pour accélérer l’intégration et la transformation économique et sociale de l’Afrique ». Il faudra peut-être aller au-delà des 5 bureaux régionaux et des 2 bureaux de coordination.

 Autonomisation économique des femmes

Prenant appui sur l’existant notamment l’initiative pour favoriser l’accès des femmes au financement en Afrique(Afawa), la Bad devra renforcer son action en matière en matière d’autonomisation économique des femmes. Afawa vise à combler le déficit de financement qui affecte les femmes en Afrique. Il est estimé à 42 milliards de dollars dans l’ensemble des chaines de valeurs. Il est causé par de multiples obstacles. Le taux d’entrepreneuriat féminin en Afrique subsaharienne atteint 25,9 % de la population féminine adulte, ce qui signifie qu’en Afrique, une femme sur quatre lance ou gère une entreprise. Plus nombreuses, elles auraient un meilleur impact sur la productivité, la création de richesse et la création d’emplois.

Pour les gouverneurs, la banque doit « intensifier son engagement en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes dans ses opérations afin de contribuer davantage au progrès humain et à la transformation structurelle dans les PMR. À cet égard, nous félicitons le Groupe de la Banque pour les partenariats qu’il est en train de mettre en place pour accroître l’autonomisation économique des femmes et leur accès au financement, notamment par le biais de l’Action positive pour le financement en faveur des femmes en Afrique (AFAWA), qui doit être mise en œuvre dans les tous prochains mois ».

Secteur privé

Le secteur privé africain est un sérieux client de la Bad. Si les relations se sont détendues en 2019, plusieurs organisations patronales n’ont pas arrêté de considérer la Bad comme la « banque des Etats ». Ceci dû non seulement à la taille du portefeuille des opérations envers les entreprises [modeste selon Célestin Tawamba du Gicam-29 mars 2019 à Douala], la complexité des procédures et la quasi inéligibilité des PME [selon Célestin Tawamba du Gicam- 29 mars 2019 à Douala] qui constituent pourtant 90% du tissu entrepreneurial du secteur privé africain.

Pourtant, réussir la croissance, la Zlecaf, la création d’emploi, l’industrialisation passe par la dynamisation des entreprises. Il faudra peut-être adapter les interventions de la Bad. D’autant plus que l’institution panafricaine se fait le chantre de l’intensification des partenariats publics privés en Afrique. La banque est donc attendue comme le facilitateur de la montée en puissance du secteur privé.

Les gouverneurs ont appelé la banque à « soutenir davantage les politiques sectorielles et les réformes réglementaires en vue de promouvoir un environnement favorable aux entreprises et tirer parti des nouveaux engagements financiers importants pris en faveur de projets en Afrique, y compris par le biais du Forum pour l’investissement en Afrique ».

 Jeunesse et création d’emplois

Parmi les belles innovations de cette 55ème assemblée annuelle de la Bad, il y a l’adoption de la création d’emplois comme nouveau critère de sélection des projets à financer. Le second mandat de Akinwumi Adesina s’ouvre sur cette perspective. Désormais, les projets sollicitant un financement de la banque africaine de développement devront garantir qu’il contribuera à créer des emplois.

La banque doit « redoubler d’efforts en vue d’offrir plus d’opportunités et des emplois de meilleure qualité aux jeunes pour contribuer à endiguer la migration hors du continent. En conséquence, nous invitons la Banque à mieux intégrer l’impact sur l’emploi, notamment des jeunes, comme critère de sélection des opérations financées » ont préconisé les gouverneurs pays.

Les perspectives économiques régionales en Afrique 2019 ont démontré que l’Afrique devrait créer 12 millions d’emplois chaque année pour juguler l’arrivée massive des jeunes sur le marché de l’emploi. Ce qui permettra de capter le dividende démographique et renforcer la classe moyenne africaine. Difficulté : les compétences ! Les perspectives 2020 exposent l’étroitesse du marché du travail pour des dizaines et des dizaines de millions de jeunes du fait de l’absence de compétences nécessaires. Il faudra donc travailler en amont pour adapter l’industrie de formation supérieure.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *