Recrutement à l’ART : Vendue, la mèche s’enflamme

C’est la suite d’un thriller managérial à la hauteur des frasques du conseil d’administration de l’entreprise.

 

           Minette Libom Li Likeng                                                   Justine Diffo Tchunkam                                                        Philémon Zo’o Zame

L’information reste en tête de gondole des réseaux sociaux au Cameroun. Le seuil de tolérance de la ministre des Postes et Télécommunications (Minpostel) vis-à-vis du top management de l’ART s’est effondré. Décidée à faire valoir la voix de la tutelle [technique] dans le scandale présumé de monnayage des recrutements au sein de cette entreprise à capitaux publics, Minette Libom Li Likeng n’a pas mis de gants. Dans une correspondance servie le 24 juillet 2020, la Minpostel demande à Philémon Zo’o Zame (directeur général de l’ART) de procéder à l’annulation des processus de recrutements en cours. Bien plus, elle suggère de «les reprendre dans le strict respect d’un plan de recrutements annuel de l’ART, tenant compte du cadre organique et de l’organigramme adoptés lors du conseil d’administration du 27 mai 2020».

Du peu qui est connu jusqu’ici, la récente lettre de la Minpostel au patron de l’ART fait suite à une autre adressée, au pas de charge, le 17 juillet 2020 à Justine Diffo Tchunkam, la présidente du conseil d’administration de la structure (en poste depuis le 30 avril 2020). «Selon les informations à notre possession, provenant d’autres sources, ce recrutement est empreint de forts soupçons de corruption, avec des marchandages de postes», peut-on lire sous la plume Minette Libom Li Likeng. D’autres lignes fortes de la même missive engagent la coordonnatrice de l’Ong More Women in Politics à œuvrer pour un retour sans délai à la sérénité au sein des organes dirigeants de l’ART (…), de veiller à la saine et permanente application des règles éthiques dans tous les actes de gouvernance à sa charge ainsi qu’à l’orthodoxie financière; de travailler dans le cadre strict de ses compétences, telles que définies par les textes en vigueur.

Pour sa défense face à sa tutelle technique, Justine Diffo Tchunkam choisit la formule de la lettre ouverte. Le contenu invalide les accusations de marchandage de places, affirmant travailler dans le strict respect de ses compétences et selon les règles de la bonne gouvernance. Bien plus, l’universitaire reste dans l’esprit de sa profession de foi du 7 mai 2020 lors de son installation comme PCA de l’ART: «faire de l’ART d’ici 2025, une institution robuste et compétitive par la qualité de sa gouvernance, soutenue par des procédures optimales et des indicateurs de performance au service de la croissance économique du Cameroun».

Branle-bas
Entre temps, une thèse informée très introduite au Premier ministère souffle que la situation augure un probable réajustement dans l’équipe managériale de l’ART via un conseil d’administration extraordinaire. En attendant que ce scénario s’affermisse et gagne en plausibilité, c’est déjà le branle-bas. À défaut de se livrer depuis quelques jours à un lobbying très intense pour mettre un frein au plan gouvernemental, les uns et les autres mènent une bataille des chiffres relatifs au gonflement scandaleux du fichier employés de l’entreprise.

Selon des sources proches du dossier, il s’agit d’une quarantaine de nouvelles recrues aux profils bigarrés et éloignés de la feuille de route de l’ART. Chez ceux-ci, on l’imagine, les motifs d’inquiétudes ne manquent pas. Car, à la demande du Minpostel, une nouvelle session de recrutement se fera avec une réorientation des outils techniques de recrutement vers un dispositif plus agile et plus efficace au bénéfice de la mission de service public de l’ART. Ce d’autant plus que, depuis plus d’une décennie, le contexte au sein de l’institution est marqué par une forte aspiration au changement en raison d’une insatisfaction du personnel.

Jean-René Meva’a Amougou

Ombres en nombre

De l’avis du Minpostel, les administrateurs de l’ART ont foulé aux pieds quelques points relatifs à la bonne gouvernance.

 

Regardées à partir de n’importe quel angle, les relations entre le conseil d’administration de l’ART et sa tutelle sont loin d’être sereines. Bien qu’un voile pudique soit posé sur leurs correspondances respectives (voir texte ci-dessus), il reste que c’est la refondation du logiciel managérial de l’entreprise qui fait problème. Concrètement, l’affaire décline deux thèmes: le droit de regard de la tutelle et la mise des administrateurs de l’ART devant leurs responsabilités. Tenues respectivement le 27 mai et le 30 juin 2020 à Yaoundé, les 49e session extraordinaire et 46e session ordinaire de l’ART donnent une actualité à ces questions. Sur sa table, Minette Libom Li Likeng a reçu les résolutions desdites assises. Du haut de sa position de tutelle technique de l’ART, la Minpostel a porté des réserves sur 6 points retenus par les administrateurs d’une part, et invalidé 4 autres. Un joli coefficient multiplicateur de sa colère.

Aux sources de l’épure

Le 7 aout 2019, Jean-Louis Beh Mengue, débarqué de son poste de directeur général de l’ART en juin 2017 (après 18 ans de règne), est placé sous mandat de dépôt à la prison centrale de Yaoundé. À sa charge, plusieurs fautes de gestion qui ont fait perdre des milliards FCFA à l’État. Un préjudice estimé à presque 20,5 milliards FCFA entre 2008 et 2014, selon un rapport d’une mission spéciale de contrôle et de vérification du Conseil supérieur de l’État (Consupe).

Il est également reproché à Jean Louis Beh Mengue de n’avoir pas appliqué les sanctions pécuniaires retenues contre les opérateurs Orange et MTN Cameroun qui devaient respectivement payer 4,1 milliards FCFA et 523,22 millions FCFA pour divers manquements à leurs cahiers de charges et constatés par les autorités camerounaises.

L’ex-DG de l’ART aurait dû faire payer aux opérateurs l’intégralité des sommes réclamée dans les caisses du Trésor public. Au lieu de cela, il aurait demandé à Orange Cameroun de ne payer que 1,25 milliard de pénalités infligées et d’investir le reste dans le développement de son réseau téléphonique. MTN de son côté a vu l’intégralité de ses pénalités annulée, à charge pour elle, comme son concurrent, d’investir la somme due dans le développement de son réseau téléphonique. Une décision jugée par le Consupe contraire à la règlementation relative au recouvrement des créances de l’État.

Depuis, les visages ont changé à la tête de cette entreprise publique. Et la série continue. D’abord avec l’actuel patron, Philémon Zo’o Zame. C’est le contrôleur financier spécialisé auprès de l’ART qui, dans son rapport, a posé sur la table du conseil d’administration, au cours de la session du 9 septembre 2019 consacrée à l’analyse des comptes, les problèmes liés au traitement salarial du DG. Avant la saisine du conseil d’administration, souffle une source interne, le contrôleur financier a, à travers plusieurs correspondances restées sans suite, attiré l’attention de Philémon Zo’o Zame sur ces irrégularités. Les dénonciations les plus graves sont liées à l’exigence ou à la perception des rétro-commissions. Avec Hessana Mahamat, l’ancien PCA, le DG est en froid. Il réussit néanmoins à obtenir sa tête le 30 avril 2020. Et puis arrive Justine Diffo Tchuinkam.

En quelques jours à la tête du conseil d’administration, ce nom fait couler beaucoup d’encre et de salive au sein du sérail et de l’opinion publique, au sujet d’un présumé monnayage des recrutements entre membre du conseil d’administration. Madame la ministre des postes et télécommunications vient de frapper du poing sur la table, en recadrant la PCA et le DG de l’ART. On attend de voir la prise en compte de ses observations par les concernés.

Jean-René Meva’a Amougou

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