Insécurité alimentaire : une patate chaude dans les mains d’Eyebe Ayissi

Henri Eyebe Ayissi, le minader.

Au cours d’une conférence de presse donnée le 16 février 2018 à la Chambre d’agriculture de Yaoundé, le ministre de l’Agriculture et du Développement rural dégage sa responsabilité dans la montée de la faim au Cameroun et esquisse une riposte contre le fléau.

 

Après l’avoir bloqué pendant plusieurs semaines, le gouvernement a fini par autoriser, en fin janvier, le Programme alimentaire mondiale (Pam) «à partager avec les donateurs» le rapport sur la sécurité alimentaire au Cameroun. L’étude réalisée tous les cinq ans, conjointement par le Pam et le ministère de l’Agriculture et du Développement rural (Minader), est disponible depuis décembre 2017. Une restitution officielle des résultats de cette enquête n’est cependant toujours pas à l’ordre du jour. «Elle est du ressort du gouvernement camerounais qui l’a commandée», se défend-on au Pam.

En fait, l’affaire tombe mal pour les autorités camerounaises. En pleine année électorale, l’enquête met en exergue une contre-performance du pourvoir en place depuis plus de 35 ans sur la satisfaction d’un besoin élémentaire : manger à sa faim. De son nom officiel, Analyse globale de la sécurité alimentaire et de la vulnérabilité (CFSVA : Comprehensive Food Security and Vulnerability Analysis), l’étude montre en effet une dégradation de la sécurité alimentaire dans le pays. Le nombre de camerounais souffrant de faim est passé de 2,6 millions lors de la dernière enquête à près de 4 millions aujourd’hui.

La conférence de presse du 16 février dernier a permis au ministre Henri Eyebe Ayissi de faire le bilan des actions de son département ministériel en 2017 et de dresser les perspectives d’actions pour l’année 2018. Concernant la montée en puissance de la faim au Cameroun, l’on retient que «la situation alimentaire nationale demeure sous contrôle». Sans donner de chiffres, l’administrateur civil admet néanmoins une production déficitaire pour la campagne agricole en cours.  Un recul qu’il attribue aux «facteurs externes»: l’insécurité, le climat (baisse de la pluviométrie dans l’Extrême-nord et arrivée tardive des pluies dans le sud du pays) et la lourdeur des procédures de passation des marchés publics (ce qui a empêché la disponibilité, au moment opportun, des semences et autres appuis aux agriculteurs…).

Face à cette situation, «des mesures d’urgence sont envisagées là où cela s’avère nécessaire, notamment dans la région de l’Extrême-nord», assure Henri Eyebe Ayissi. Le Minader pense précisément au «don alimentaire spécial du président de la République» distribué depuis 2014 dans cette région : «A la fin de l’année 2017, nous avons enregistré une mission spéciale prescrite par le président de la République concernant justement l’évaluation de la situation. Le  don alimentaire spécial du président de la République, qui est un mécanisme de sauvegarde, permet d’assurer l’aide alimentaire d’urgence et en même temps, de renforcer les capacités de production qui existent. Nous considérons que la situation permettra d’apprécier l’opportunité de le déclencher. Nous avons de bonnes raisons de l’espérer», confie-t-il.

 

 Plan d’action

Quid des régions du Nord-ouest et de l’Ouest, qui ont les taux d’insécurité alimentaire les plus élevés (respectivement 18,1% et 18% des ménages) après l’Extrême-nord (33,7%) selon CFSVA 2017 ? Le ministre Henri Eyebe Ayissi n’en dit rien. C’est que, à ce niveau, la planche est davantage savonneuse. Car, pour les experts du Pam, l’évolution de la faim dans ces régions est «très probablement» le fait «de la crise anglophone qui s’est intensifiée». A en croire le Pam, 41% des sondés dans le Nord-ouest disent avoir été affectés par l’insécurité alimentaire pendant les jours précédant l’enquête.

Parmi les priorités du Minader cette année, la lutte contre l’insécurité alimentaire figure donc en bonne place. Eyebe Ayissi l’a annoncé à ses collaborateurs venus lui présenter leurs vœux pour la nouvelle année, lors d’une cérémonie organisée ce même 16 février à Yaoundé. «Nous devons considérer comme une urgence prioritaire, l’augmentation de la production agricole dans son ensemble, dans les différentes filières et dans les différentes aires géographiques qui sont déficitaires parce qu’il faut réduire et maitriser les risques d’insécurité alimentaire», indique-t-il à son équipe.

Pour ce faire, il prescrit aux délégués régionaux et aux coordonnateurs des programmes de veiller à la bonne exécution des campagnes agricoles et à la mise à disposition à temps des intrants agricoles. Il invite aussi le personnel de son département ministériel à cultiver l’esprit de collaboration avec les autres administrations : «ce chantier requiert une synergie institutionnelle entre les ministères et une collaboration des différentes structures impliquées», précise le ministre.

 

Henri Eyebe Ayissi, Minader : «Nous devons considérer comme une urgence prioritaire, l’augmentation de la production agricole dans son ensemble, dans les différentes filières et dans les différents aires géographiques qui sont déficitaires parce qu’il faut réduire et maitriser les risques d’insécurité alimentaire»

Une table-ronde pour donner du contenu à «l’agriculture de seconde génération»

Le premier défi du ministère de l’Agriculture et du Développement rural (Minader) cette année est «la finalisation et l’organisation effective de la table – ronde sur l’agriculture». Henri Eyebe Ayissi, l’a indiqué le 16 février dernier à ses collaborateurs venus lui présenter les vœux de nouvel an. «Prescrite par le président de la République, la tenue d’un moment de réflexion sur l’agriculture camerounaise vise à donner un contenu au concept «d’agriculture de seconde génération (ASG)» porté sur les fronts baptismaux par le chef de l’Etat lui-même», explique le membre du gouvernement. A en croire le Minader, entamés en fin 2016, les travaux préparatoires de cette conférence sont achevés.
Une étude qui devrait servir d’instrument de base à la réflexion commandée par le gouvernement a été livrée depuis juin 2017. Elle propose de définir l’agriculture de seconde génération «comme étant une agriculture durable de production de masse et de type entrepreneuriale, compétitive sur l’ensemble de la chaîne des valeurs agricoles dont elle promeut le développement». Cette agriculture requiert, selon le même document, «des entreprises ou des unités de production, de transformation et de mise en marché hautement performantes, un professionnalisme avéré des différents acteurs impliqués à chacun des niveaux de la chaîne des valeurs, et un environnement institutionnel catalyseur de l’activité, favorable et incitatif». Elle devrait contribuer à «l’autosuffisance et la sécurité alimentaires des ménages et la conquête des marchés extérieurs, l’équilibre de la balance commerciale par un accroissement substantiel des exportations, sources de devises, et surtout, la croissance et à l’emploi jeunes à travers la valorisation optimale des produits du cru».
Pour y parvenir, l’étude pose comme préalable «l’existence d’un environnement favorable à l’innovation et à la recherche, d’un cadre juridique et réglementaire adéquat, d’un système de gouvernance efficace et adapté ainsi qu’une sécurité foncière indispensable au déploiement des entreprises agricoles». Tout un programme qui sera affiné pendant la table-ronde.

 

Les actions courantes du Minader en 2018

Extrait du propos liminaire du Minader lors de sa conférence de presse du 16 février 2018.

Les actions courantes se focaliseront sur l’accroissement de la production optimale des principales denrées de grande consommation et la valorisation de nos principaux produits agricoles, pour davantage créer de la valeur ajoutée. En termes d’objectifs spécifiques, le Minader entend :
– s’assurer de la disponibilité à bonne date des semences améliorées aux producteurs ;
– densifier la politique d’auto – installation des jeunes agriculteurs diplômés dans leurs terroirs et assurer la sécurisation foncière des sites déjà en exploitation ;
– contribuer à l’acquisition d’une nouvelle huilerie à la Pamol Plc. Cette action résulte de la concrétisation d’un tour de table entre le Minfi, le Minepat et le Minader, destiné à doter la Pamol Plc d’une nouvelle huilerie d’un montant de près de 10 milliards de francs CFA. L’urgence de cette nouvelle acquisition s’impose au regard de la vétusté de l’ancienne huilerie cinquantenaire, qui expose de très lourde charges d’entretien et dont la capacité de broyage des noix ne permet plus l’extraction optimale des fibres de noix de palme. Il s’agit enfin, dans la perspective de cette acquisition, d’anticiper sur l’augmentation certaine de la production des noix de palme du fait des extensions de plantations en cours dans la zone de Bakassi.
– densifier le réseau d’encadrement de proximité des producteurs agricoles sur toute l’étendue du territoire national ;
– Renforcer l’inclusion financière des producteurs agricoles ruraux par la création d’instruments innovants de financements adaptés à leurs besoins et parachever le processus d’institutionnalisation du Fonds de facilitation du Padmir pour le refinancement des établissements de micro finance intervenant dans le secteur agricole ;
– poursuivre le projet de recensement général de l’agriculture et de l’élevage.

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