Lutte contre le coronavirus : Drame opératoire sur la décentralisation

Des experts et élus locaux estiment que s’il avait effectivement donné le pouvoir aux collectivités territoriales décentralisées, le gouvernement aurait probablement pu faire l’économie de certains désastres dans la distribution du don présidentiel.

 Paul Biya                                                        Paul Atanga Nji                                              H. P. Tomaino Ndam Njoya

En pleine crise du Covid-19 au Cameroun, revendiquer plus de pouvoir, est-ce là le bon et urgent combat à mener? En petits comités, les maires répondent par l’affirmative. Plus offensifs, les édiles du département du Noun (région de l’Ouest) ont donné le ton la semaine dernière. Réunis en syndicats et galvanisés par Hermine Patricia Tomaino Ndam Njoya (maire de Foumban), ils se fendent en regrets. «Si vous nous aviez consultés quant à l’utilisation judicieuse de ce don, nous aurions pu, à l’attention de votre haute gouverne, indiquer notre option pour sa mise à disposition, ou affectation dans les différents comptes bancaires ou consignations, afin que chaque commune, en fonction de son plan de riposte, engagé depuis le mois de mars, présente ses besoins réels en ce moment qui, en tout cas, se trouvent au-delà du stade: savon, masques, seaux, bidons lave-mains, kits de tests de dépistage, appareils respiratoires pour hôpitaux», écrivent-ils à Paul Biya, donateur d’équipements sanitaires anti-coronavirus, d’une valeur estimée à près de 2 milliards FCFA, destinés aux 360 arrondissements du Cameroun.

Défaillance systémique
Entre les lignes, les maires du Noun (comme bien d’autres) font le procès de la gestion «à la camerounaise» de la crise sanitaire: désordre dans la mise en œuvre, choix stratégiques discutables. Mieux, les élus locaux dénoncent une défaillance systémique: «hypercentralisation du système par une armée bureaucratique, verticale, arcboutée sur ses certitudes, aussi bien en termes de décision politique que de mise en œuvre administrative», selon le diagnostic de Marc Koung à Ribama. Dans son analyse de la gestion du don présidentiel, l’expert camerounais des questions de décentralisation pointe alors «un bricolage fonctionnel aux modulations en nette rupture avec les réalités du terrain». Résultat: «À vouloir s’occuper de tout, l’État ne parvient plus à s’occuper de l’essentiel; d’où ce sentiment d’un gouvernement en retard d’une guerre, mal préparé, cacophonique dans ses choix opérationnels», murmure sous anonymat un maire RDPC de la région du Centre.

Constants et obstinés
En dépit des lois sur la décentralisation, la gestion du don de Paul Biya dans le cadre de la lutte contre le coronavirus illustre «un drame opératoire applaudi dans une certaine enclave éditoriale», d’après Narcisse Nghounang, autre Camerounais spécialisé dans la gestion des collectivités territoriales décentralisées. À ses yeux, la riposte contre le Covid-19 au Cameroun montre bien «toute la pyramide de l’administration territoriale (ministre, gouverneurs, préfets et sous-préfets) à l’œuvre sur un terrain normalement dévolu au ministère de la Décentralisation et du Développement local». En évitant de faire l’inventaire de certaines inepties, Narcisse Nghounang pense que la croisade contre le coronavirus aurait pu être un test pour la consolidation du magistère des élus locaux. «Malheureusement, dit-il, c’est toujours une administration territoriale avec ses cerbères constants et obstinés qui saturent l’espace public avec des actions parfois à rebours».

Jean-René Meva’a Amougou

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