Héros ordinaire, métier extraordinaire

«La vie d’un homme sur la terre est un temps de service et ses jours sont comme ceux d’un milicien». On croirait volontiers ce proverbe wolof démodé, si la mort de Javier Pérez de Cuéllar Guerra n’était pas venue se greffer à l’actualité le 4 mars dernier.

Ce jour-là, le Péruvien, ancien syndicaliste, cinquième secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), s’est éteint à l’âge de 100 ans. Sa vie s’est étendue «sur toute l’histoire des Nations unies», a relevé António Guterres. L’actuel secrétaire général de l’organisation planétaire a salué la mémoire d’un «homme d’État accompli» et un «diplomate engagé».
Au registre des faits d’armes du disparu: «son rôle crucial dans bon nombre de succès diplomatiques, notamment l’indépendance de la Namibie, la fin de la guerre Iran-Irak, la libération des otages détenus au Liban, les accords de paix au Cambodge et, dans les derniers jours de son mandat, un accord de paix historique au Salvador».

Dans son sommeil sans fin, Javier Pérez de Cuéllar Guerra ne demande certainement pas aux vivants de lire platement son passage à la tête de l’ONU. Seul Latino-Américain parvenu à ce poste, l’homme voulait croire, et œuvrait en ce sens, à un système collectif pouvant permettre d’assurer la paix et la sécurité, en limitant l’usage de la guerre. Son mandat en tant que secrétaire général a coïncidé avec deux époques distinctes dans les affaires internationales: d’abord, certaines des années les plus tendues de la guerre froide, puis, avec la fin de la confrontation idéologique, un moment où les Nations unies ont commencé à jouer plus pleinement le rôle envisagé par les fondateurs.

En endossant la responsabilité de diriger l’organisation universelle des Nations unies, il rêvait de lui rendre son âme et sa raison d’être: un outil exclusivement au service de l’humanité, pour la paix dans le monde et le respect universel des règles du droit international. Bien sûr, les appels à un fonctionnement démocratique et transparent dans la maison de verre n’étaient pas de bon augure, d’autant plus qu’ils étaient applaudis par certains pays, notamment du groupe du Tiers Monde.

Au bout du compte, Javier Pérez de Cuéllar Guerra s’était plié devant une chose: l’exercice de la fonction suprême à la tête de la seule organisation internationale et universelle est tributaire d’une équation contradictoire: être le porte-parole de la communauté internationale d’un côté, mais assumer la responsabilité des résolutions des seuls États décideurs de l’autre; car le secrétaire général ne dispose pas de pouvoirs par lui-même: la volonté générale peut toujours s’exprimer, mais seules les puissances font tourner la machine.

Sans le dire, il était conscient de la relativité de ses pouvoirs, mais refusait la soumission à tout prix; fervent partisan de l’impartialité des décisions onusiennes, il s’opposait aux tentatives d’utilisation de l’Organisation à des fins partisanes. D’ici, l’on voit «l’œuvre» de cet homme intellectuellement séduisant. Elle restera à jamais entachée par la paralysie d’une institution qu’il entendait pourtant réformer et qui a failli.

Jean-René Meva’a Amougou

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