Ahmad Allam-Mi : Immersion dans la transition institutionnelle de la CEEAC

La CEEAC à la croisée des chemins

Le 18 décembre 2019, la neuvième session extraordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEEAC a validé la réforme de l’institution communautaire. L’objectif de cette réforme est d’adapter la Communauté Economique des Etats de l’Afrique centrale aux défis de l’heure, en lui donnant l’étoffe nécessaire pour réussir.

Dans la foulée du sommet du 18 décembre dernier à Libreville, la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement a instruit le président du Conseil des ministres et l’exécutif de la Communauté de mener des actions de plaidoyer en vue d’accélérer le processus de ratification du Traité révisé de la CEEAC.

Six mois: c’est le délai pour la mise en place de la nouvelle CEEAC. Et le compte à rebours de la période transitoire est enclenché depuis début janvier 2020. A désormais cinq mois de l’échéance fixée par les chefs d’Etat et de Gouvernement, votre journal fait le point du chantier de la transition institutionnelle de la CEEAC. Il revisite, dans une grande interview accordée par le Secrétaire Général de la CEEAC, la mise en œuvre de la feuille de route des réformes conduisant à la nouvelle institution communautaire.

Votre journal verse par ailleurs dans ce dossier des éléments de rappel d’engagements pris par les principales parties lors du sommet extraordinaire de la capitale gabonaise. Comme pour mettre les uns et les autres face à leurs responsabilités.

Théodore Ndong Owona

 

Le Secrétaire général de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique centrale fait le point des chantiers de la mutation vers la nouvelle institution communautaire.

La neuvième session extraordinaire du sommet des chefs d’Etat et Gouvernement de la CEEAC s’est achevée le 18 décembre dernier en entérinant les réformes institutionnelles de la CEEAC. Le secrétariat général que vous dirigez a par exemple été transformé en commission. Dois-je donc dire M. le président de la Commission ou c’est toujours M. Secrétaire général de la CEEAC?
Je voudrai avant tout remercier le journal Intégration pour l’intérêt constant qu’il ne cesse de manifester à notre institution. Pour répondre à votre question, je dirai que mon deuxième mandat s’inscrivait dans une mission claire, celle d’accompagner le président en exercice de la CEEAC à poser les jalons de la réforme institutionnelle. Vous avez suivi pas à pas le processus de réforme et étiez présent aux travaux de la 9ème session extraordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement consacré essentiellement à ladite réforme institutionnelle. Nous avons fait du chemin et les chefs d’Etat ont pu l’apprécier à juste titre. Ils ont signé l’ensemble des textes et documents fondamentaux, mais il reste encore la ratification par les parlements des Etats, l’organisation de l’élection des commissaires et de l’ensemble des dirigeants de la future commission. Alors pour répondre à votre question, je suis et demeure pour l’instant Secrétaire général de la CEEAC, jusqu’au passage de témoin à la nouvelle équipe dirigeante. De même, ce n’est qu’après ces étapes que je viens d’évoquer plus haut que le Secrétariat général cèdera la place à la Commission.

Fondamentalement, quelles sont les réformes institutionnelles validées par les chefs d’Etat et de Gouvernement? Comment vont-elles donner un nouveau visage à la CEEAC?
Au terme des travaux de la 9è session extraordinaire, les chefs d’Etat et de Gouvernement ont adopté les instruments juridiques relatifs à la Réforme Institutionnelle de la CEEAC, à savoir : le Traité révisé de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC); le Protocole révisé relatif au Conseil de Paix et de Sécurité de l’Afrique Centrale qui est annexé au Traité révisé et en fait partie intégrante; le Règlement financier révisé de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale; le Statut du Personnel révisé de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale; le Cadre Organique de la Commission de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale ainsi que la décision déterminant la procédure de désignation du Président de la Commission et de présélection des autres membres de la Commission; Il importe de souligner que les Chefs d’Etat ont adopté et signé une Déclaration politique portant sur un engagement fort visant à redynamiser la CEEAC. Ils y ont Réaffirmé leur engagement d’appliquer le mécanisme de la Contribution Communautaire d’Intégration (CCI), afin de garantir la mise en œuvre efficace et soutenable de la réforme institutionnelle et l’atteinte des objectifs de la Communauté. Ils ont instruit l’exécutif de la Communauté de mener des consultations avec les Etats membres sur les modalités pratiques de son application; Les chefs d’Etat ont également décidé de maintenir à leurs postes le personnel à mandat en service au Secrétariat général de la CEEAC afin d’assurer la continuité des services jusqu’à la mise en place de la Commission.

Il faut rappeler que l’objectif de la réforme est d’améliorer l’efficacité et l’efficience de la CEEAC dans le but de réaliser un saut qualitatif majeur dans la gouvernance de la Communauté pour en faire une Communauté Economique Régionale (CER) véritablement forte et dotée d’un exécutif à l’architecture rénovée et adaptée aux défis de l’heure.

 

La mise en œuvre desdites réformes fera à coup sûr grincer les dents, notamment au niveau de la cessation d’activité des personnels et du recrutement de nouveaux cadres. Quel est le discours et la méthode proposés par les chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEEAC?
Vous faites sûrement allusion aux dispositions de l’article 114 du traité révisé de la CEEAC sur les mesures particulières relatives au personnel qui stipule: «Dès l’entrée en vigueur du Traité révisé et au moment de la mise en place de la Commission, le personnel du Secrétariat Général est mis à la disposition de la Communauté pendant une période transitoire déterminée par la Conférence, sans possibilité de reversement automatique à la Communauté».

Au cours de la période transitoire, le personnel demeure régi par le statut adopté par décision N°002/CCEG (III) 87 du 28 août 1987. Il est évalué par un cabinet indépendant au regard des nouveaux objectifs assignés à la Communauté. A l’issue de cette évaluation, sans préjudice du programme de départ volontaire qui pourrait être organisé, les fonctionnaires et agents retenus sont admis à postuler à un emploi ou redéployés à la Commission, après un renforcement des capacités ou un recyclage en tant que de besoin.

Quand on sait que jusqu’aujourd’hui la CEEAC fonctionne avec moins des 2/3 des effectifs nécessaires, il est clair que l’ensemble du personnel qualifié sera maintenu à l’issue de l’évaluation. Mais cet exercice est nécessaire, car il permettra de partir sur des bases nouvelles, avec un personnel à la hauteur de la tâche qui l’attend dans le cadre de la mise en œuvre des réformes décidées par les chefs d’Etat et de Gouvernement.

La période transitoire de six mois, pour assurer la continuité du service et mettre en place la Commission, est – elle suffisante pour tenir les délais et le pari?
Le délai de six mois a été retenu par les chefs d’Etat et de gouvernement pour permettre au Conseil des ministres de procéder à la présélection des membres de la Commission de la CEEAC. Il faut préciser que l’une des reformes importantes est également la modification de la procédure de désignation et de nomination des hauts responsables de l’exécutif. Par le passé, les postes étaient affectés aux Etats qui désignaient le fonctionnaire de leur choix pour l’occuper. Aujourd’hui, à part le poste de Président de la Commission, tous les autres postes sont mis à concurrence. Les Etats présenteront donc les meilleures candidatures possibles pour espérer obtenir un poste, surtout qu’il n’y a que sept postes à pourvoir pour onze Etats -membres.

Ce délai devrait également permettre le recrutement de l’agent comptable, du contrôleur financier et de l’auditeur interne. Il faut rappeler que contrairement à la procédure antérieure, ces postes ne sont pas affectés aux Etats. Ils font l’objet d’un appel à candidature ouvert à tout citoyen des onze Etats membres. Les candidats sélectionnés seront nommés par le Conseil des ministres pour un mandat de cinq ans non renouvelables.

Ce délai devrait permettre également aux Etats membres de procéder à la ratification du Traité revisé et d’apurer leurs arriérés de contribution au budget de la CEEAC. Comme vous le savez, ce sont là deux conditions à remplir pour espérer obtenir l’un des sept postes de la Commission (un Président, un Vice-président et cinq Commissaires chefs de département). Pour ce qui nous concerne, nous avons d’ores et déjà transmis aux Etats – membres des copies certifiées conformes du Traité révisé en vue de la ratification et avons également transmis aux Etats membres les sollicitations des candidatures aux postes de Vice-président et commissaires.

Pour ce qui nous concerne, nous avons d’ores et déjà transmis aux Etats-membres des copies certifiées conformes du Traité révisé en vue de la ratification et avons également transmis aux Etats membres les sollicitations des candidatures aux postes de Vice-président et commissaires. Le calendrier détaillé que nous avons joint aux sollicitations de candidatures prévoit la fin du processus de présélection en début mai 2020.

Le calendrier détaillé que nous avons joint aux sollicitations de candidatures prévoit la fin du processus de présélection en début mai 2020. Après cela, il appartiendra au Président en exercice de convoquer la 17ème session ordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement au cours de laquelle le Président, le Vice-président et les Commissaires seront nommés et prêteront serment avant de prendre service dans les semaines qui suivront.

Enfin, ce délai devrait également permettre à l’Etat gabonais de terminer la réfection et l’aménagement du nouveau siège de la CEEAC. Je vous rappelle que le Gabon a mis à disposition de la CEEAC un grand immeuble haut de gamme sur le boulevard triomphal Omar BONGO ONDIMBA qui devrait permettre à l’institution communautaire de disposer d’un siège digne de ce nom et à la hauteur des ambitions que nourrissent pour elles les Chefs d’Etat et de Gouvernement de la sous-région. Il est prévu que la session ordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement évoquée ci-haut se déroule dans ce nouveau siège.

Vous voyez donc que la période transitoire de six mois devrait, sauf gros imprévu, suffire à procéder à la mise en place dans les règles de la future Commission de la CEEAC. En tout état de cause, mon équipe et moi-même avons pris toutes les dispositions afin de nous y conformer.

Dès juillet 2020, à quoi faut-il s’attendre?
Je venais de vous dire que sauf gros imprévus, les Chefs d’Etat devraient procéder à la mise en place de la future Commission de la CEEAC à la fin du premier semestre 2020, conformément aux décisions qu’ils ont prises au cours du sommet extraordinaire du 18 décembre 2019 consacré à la réforme institutionnelle de la CEEAC.

Cela signifie qu’en juillet, si vous devriez constater que la CEEAC a à sa tête une nouvelle équipe dirigeante et est dans un siège digne de ce nom, vous pouvez imaginer la fierté qui est la mienne d’avoir eu l’opportunité d’apporter ma modeste contribution à ce grand projet.

La question de la rationalisation reste en suspens. Que faut-il en attendre, après juillet prochain?
Le plan d’action réaménagé du comité de pilotage de la rationalisation des Communautés économiques régionales d’Afrique centrale (Copil/Cer-AC) s’étend sur la période 2018-2023. De fait, ces cinq années constituent la période charnière pour le travail technique et les décisions politiques à prendre à l’effet de converger vers une Communauté économique régionale unique en Afrique centrale reconnue comme telle par l’Union africaine. Nous continuerons donc à coopérer et à rationaliser nos activités avec les autres organisations d’intégration présentes dans la sous-région en vue de parvenir à cette CER unique.

Interview avec
Thierry Ndong Owona

 

Engagements de la Conférence des chefs d’Etat de la CEEAC

1. Tout mettre en œuvre pour accélérer le processus de ratification du Traité révisé signé ce jour (ndlr: 18 décembre 2019) afin de faciliter son entrée en vigueur dans les six prochains mois;

2. Tenir un Sommet Ordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement au cours du premier semestre de l’année 2020 pour, entre autres, mettre en place la Commission;

3. Mobiliser, à travers le mécanisme de la Contribution Communautaire d’Intégration (CCI), les ressources nécessaires pour financer la réforme institutionnelle et atteindre les objectifs de la Communauté ;

4. Poursuivre le processus de mise en œuvre de la réforme à travers la finalisation des textes additionnels et la mise en place des organes et institutions de la Communauté.

 

François Lounceny Fall

«L’Onu va aider la CEEAC à mettre en œuvre cette réforme»

Déclaration du Représentant spécial du Secrétaire général et chef du Bureau régional des Nations unies pour l’Afrique centrale lors de la 9ème session extraordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEEAC consacrée à la réforme institutionnelle Libreville, le 18 décembre 2019.

 

L’Organisation des Nations unies suit avec un grand intérêt le développement de la situation en Afrique centrale, au moment où le monde entier est confronté à de nombreux conflits et doit encore affronter les nouveaux défis que sont le terrorisme et l’extrémisme violent, ainsi que les effets néfastes du changement climatique, pour ne citer que ceux-là.

La sous-région de l’Afrique centrale, charnière au cœur du continent, n’est pas épargnée par ces fléaux qui viennent sérieusement saper nos efforts communs de promotion de la paix, la sécurité, la stabilité et la prospérité au bénéfice des populations. Pour juguler ces défis majeurs à la paix et à la sécurité, une approche collective et intégrée s’impose. Je me réjouis de ce que les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Afrique centrale l’aient compris dès le départ. En prenant la décision de mener une réforme institutionnelle de la CEEAC, ils ont marqué leur ferme engagement et leur attachement à travailler ensemble à travers des mécanismes régionaux adaptés aux nouvelles exigences de l’heure.

Cette réforme est le fruit d’une collaboration sous-régionale, d’une vaste campagne de sensibilisation et de la mobilisation des volontés politiques des Etats membres de la CEEAC. Je voudrais saisir cette opportunité pour rendre un vibrant hommage au président en exercice de la CEEAC, Son Excellence Ali Bongo Ondimba, président de la République Gabonaise, qui s’est personnellement investi pour fédérer les énergies de ses pairs et l’ensemble des Etats – membres derrière ce projet de réforme ambitieux. Mes félicitations sont également tournées vers le Secrétariat de la CEEAC, sous la direction de son Secrétaire général, Ahmad Allam-Mi, véritable cheville ouvrière de la réforme. Je salue aussi la présence à ces assises du Président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, au moment où la CEEAC franchit un pas décisif dans l’intégration régionale conformément à la vision de l’Agenda 2063 et à l’Architecture africaine de paix et de sécurité.

La signature ce jour du Traité révisé de la CEEAC marque un jalon important dans le processus d’institution d’une Communauté économique régionale plus dynamique et disposant d’outils adaptés aux défis qu’elle est appelée à relever. Je me réjouis de ce que la réforme accorde une place de choix au rôle de la femme et de la jeunesse, à la gouvernance démocratique, aux droits de l’homme, à la protection de l’environnement, ainsi qu’à la gestion des ressources naturelles, en créant ou en renforçant les structures dédiées à ces questions. C’est un développement que nous saluons, tant les moyens actuellement consacrés à ces thématiques importantes pour la gouvernance, le développement durable et la stabilité de vos pays ne permettent pas de les traiter de façon adéquate.

Dans un contexte de crise financière globale, la mise en place et le fonctionnement effectif d’un mécanisme de financement approprié permettront aux Etats membres de mettre en œuvre leur agenda d’intégration régionale et leurs divers programmes en s’appuyant sur les nouvelles structures de la CEEAC. Une fois de plus, je tiens à réaffirmer la ferme détermination de l’Onu à aider la CEEAC à mettre en œuvre cette réforme, y compris dans la mobilisation d’un soutien plus conséquent de la part de la communauté internationale. Je réitère également l’engagement des Nations unies à travailler étroitement avec la CEEAC, notamment dans les domaines de la prévention, la résolution des conflits et la consolidation de la paix en Afrique centrale. Le Bureau régional des Nations unies pour l’Afrique centrale (Unoca), conformément à son mandat, mobilisera toutes les entités pertinentes du système des Nations unies pour contribuer à renforcer, en synergie avec les autres partenaires, les capacités de la CEEAC réformée. Je vous remercie.

 

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