ACTUALITÉINTÉGRATION NATIONALE

Pour un journalisme de référence ou de révérence ?

Dans sa note introductive du livre « Les nouveaux chiens de garde », que publiait Serge Halimi en 1997, Pierre Bourdieu, s’interrogeait en ces termes, et je le cite :

« Pourquoi en effet, les journalistes n’auraient-ils pas à répondre de leurs paroles, alors qu’ils exercent un tel pouvoir sur le monde social et sur le monde même du pouvoir ? Pourquoi n’auraient-ils pas à rendre compte de leurs prises de position et même de leur manière d’exercer leur métier et de conduire leur vie alors qu’ils s’instaurent si volontiers en juges des autres hommes de pouvoir, et en particulier des hommes politiques ? ».

Vingt –deux ans plus loin, force est de constater que ces interrogations du sociologue français n’ont perdu ni de leur acuité ni de leur perspicacité. Elles semblent investies d’un sens, d’une puissance et d’une consistance particulièrement suggestive dans le contexte camerounais. Elles opèrent comme l’un des fondements de ces Journées Citoyennes de la Presse. Car il s’agit de questionner les pratiques professionnelles qui relèvent du journalisme dans une conjoncture où une certaine pollution informationnelle tend à disqualifier le journalisme de référence, au profit du journalisme de révérence- ou de connivence si l’on veut.

Illusion

 En effet, à quoi assistons-nous depuis de longues années ? Une diversification incontestable de notre paysage médiatique, rendue possible grâce à une armature législative qui consacre la liberté de la presse. Les chiffres les plus récents et les plus fiables font état de l’existence de : 600 organes de presse écrite ; plus de 200 radios ; une trentaine de télévisions ; des dizaines d’organes de presse en ligne. On peut y voir l’illustration d’une certaine vitalité du secteur.

Mais, prenons garde à ce que la réalité statistique ne masque une illusion d’optique, s’agissant en particulier des questions éthiques. À vrai dire, la forteresse du journalisme de référence est littéralement prise d’assaut par toutes sortes d’opérateurs et d’acteurs, auteurs assumés d’objets médiatiques

non identifiés, ou difficilement identifiables ; menaçant d’emporter l’édifice de repli de ce journalisme de référence, dont la fondation est le respect scrupuleux, voire le culte la déontologie, c’est-à-dire, « un rituel socialement partagé dès lors qu’elle n’est pas seulement un texte interne, mais un ensemble de prescriptions qui définissent la place des uns et des autres qui ont affaire avec le journalisme », pour reprendre le mot de Denis Ruellan.

Sous cet angle, mon propos s’éclaire mieux, par ceux que j’emprunte à Pierre Ganz lorsqu’il écrit, je cite : « Le manquement à l’éthique est autre chose : la rupture de règles générales qui font une information de qualité au service du public dans une démocratie –exactitude, vérification, protection des sources, refus de plagiat, de l’incitation à la haine ou à la discrimination, respect de la vie privée et du droit à l’image, absence de conflits d’intérêt, non confusion entre information et communication ».

Il faut bien en convenir : le spectacle auquel nous avons droit depuis tant d’années est affligeant de ses dérives et préoccupant de ses délinquances. Inutile de me livrer ici à quelque énumération, ou quelque caractérisation ; tant les déviances s’affichent et crèvent l’écran. Sans être dans le secret des communications qui vont être délivrées durant ces travaux, je subodore que leurs auteurs s’y pencheront. Ce qui est certain, c’est qu’au final, ce sont les citoyens qui apparaissent comme les principales victimes de ces manquements, et de ces manques. Car au fond, qu’est-ce être citoyen ? Jean Vincent Holeindre et Benoît Richard postulent que :

« Être citoyen, c’est appartenir à la communauté politique ; s’acquitter des devoirs et jouir des droits civils, politiques, sociaux qui s’y attachent et participer aux affaires de la Cité ». Or, pour participer de manière pertinente aux affaires de la Cité, il faut être bien informé. C’est un des droits du citoyen, consacré par divers instruments juridiques dont la « Déclaration universelle des Droits de l’Homme » de 1948, constitue une référence significative. C’est aussi l’une des conditions de la vie démocratique portée à son optimum. Jacques Cros, explique, à propos du rôle crucial que jouent les médias dans une démocratie, ceci :

« Ils doivent donner aux gens tous les éléments d’information pour que ceux-ci exercent en toute connaissance de cause leurs choix de citoyens. La mission des moyens d’information en démocratie peut se résumer ainsi : faciliter l’exercice par les citoyens de choix raisonnés et critiques grâce à une information loyale, objective et complète et permettre la confrontation des opinions. L’information est donc indissociable du débat démocratique. C’est grâce à l’information que l’homme vit comme un homme livre ». Fin de citation. À l’aune de ce qui précède, il est à craindre que, dans notre contexte, l’on peine à trouver cette information de qualité à laquelle ont droit les citoyens camerounais.

Face à une telle situation, il existe deux attitudes : la démission ou la mission ; céder à la tentation paresseuse de se contenter d’une place d’observateur résigné, ou alors engager une action en vue de faire bouger les lignes.

Valentin Zinga, extrait du discours prononcé à Yaoundé, lors de la cérémonie d’ouverture des Journées citoyennes de la presse, le 14 décembre 2019.

Municipales et législatives 2020 : Les directives du Conseil national de la communication

A Yaoundé le 15 janvier 2020, l’instance de régulation de la communication au Cameroun a rappelé les grandes lignes de la médiatisation durant la période du double scrutin du 9 février prochain.

S’adressant aux hommes de médias, le Conseil national de la communication a profité de l’occasion pour épandre les bonnes pratiques du métier en période électorale. Puisqu’il maitrise l’environnement médiatique camerounais, Peter Esoka, président de cette institution n’est pas allé de mains mortes.

Ce 15 janvier, au cours de la cérémonie d’ouverture de « l’atelier de formation et de sensibilisation des médias sur la prévention des conflits électoraux et la lutte contre les discours de haine en période électorale » l’homme se montre très ravi du sujet inscrit à l’ordre des trois jours de la formation offerte par la CEEAC (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale).

D’ailleurs, le président du CNC prend les allures de l’institution qu’il dirige lorsqu’il en évoque les principes en contexte électoral au Cameroun. «Compte tenu des enjeux particuliers des échéances électorales du 9 février 2020 et du contexte socio-politique du moment, il paraît nécessaire que le CNC insiste particulièrement sur certaines exigences légales, éthiques et déontologiques». Concrètement, ajoute-t-il, cette insistance se manifeste sous la forme de directives. «En ce qui concerne la propagande électorale, il est utile de rappeler aux médias publics qui accueillent pour diffusion les messages des partis politiques, que le Cnc est particulièrement regardant sur le respect par tous les acteurs de deux catégories d’obligation. Primo: «il s’agit de la paix sociale, de l’unité et de l’intégration nationale dans tous les médias ». Secundo: il est question, «de la promotion des idéaux de paix, de démocratie et des droits de l’Homme».

Temps d’antenne

Si «tout appel direct ou indirect à la sécession, tout message de soutien aux sécessionnistes devrait être censuré» dès février prochain, la gestion du temps d’antenne pendant  cette période sera scrupuleusement calibrée.  Peter Essoka va se montrer regardant.  Le président du CNC prévoit de mettre sur pied des équipes de contrôles qui vont sillonner les dix régions du pays. L’objectif étant de s’assurer de l’égal accès des différents concurrents dans les différents médias.  Et cette façon de faire, apprend-on participe du décret N°92/030 du 13 février 1992 fixant les modalités d’accès des partis politiques aux médias audiovisuel de service public  de la communication. Selon ledit décret, «avant le début de chaque campagne électorale, le ministre de la communication signe un arrêté pour déterminer le temps d’antenne la radio et à la télévision de chaque parti ou de chaque candidat».

 

Joseph Julien Ondoua Owona

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