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Lom Pangar : L’Histoire du Cameroun revisitée sous le barrage

Grâce à une surveillance archéologique assidue sur le site, nombre de représentations d’hier ont été nuancées, des pans entiers de la mémoire du pays, jusque-là ignorés, ont été mis au jour.

L’inauguration de l’exposition à l’IFC de Yaoundé

Ne vous attendez pas à voir des monceaux d’or débordant de coffres vermoulus. Ce que EDC (Electricity Development Cameroon), l’AFD (Agence française de développement) et le Groupement Vabioche/WBC/HMS proposent c’est 200 pépites patrimoniales insoupçonnées, spectaculaires et emblématiques. «Vous avez là des pièces de monnaie, des fragments de pipes, des pierres trouées, des résidus de fourneaux, des galets taillés, des fragments de tourmaline, des pointes de lances entre autres. L’ancienneté de ces objets remonte à plusieurs millénaires avant Jésus-Christ», atteste Bienvenu Gouem Gouem. L’archéologue, chef de mission Vabioce certifie par ailleurs qu’ils sont tous tirés des tréfonds de la zone de Lom Pangar (Est-Cameroun).

Quelques spécimen des découvertes archéologiques faites à Lom Pangar

Trésors
Du 18 au 27 septembre 2019 à l’Institut français du Cameroun (Yaoundé), une exposition a lieu sur fond d’un double objectif: «permettre aux visiteurs de suivre le fil rouge d’une exploration archéologique menée sur le terrain depuis avril 2014 d’une part, alerter et intéresser curieux et spécialistes sur le plan de sauvetage archéologique à Lom Pangar», décline Théodore Nsangou. À en croire le directeur général de EDC, «ces trésors offrent un inventaire actualisé de la vie ancienne, là où se trouve aujourd’hui le barrage de retenue d’eau». Traduction: les découvertes archéologiques issues de Lom Pangar éclairent, d’une lumière nouvelle, l’histoire du Cameroun, de la plus ancienne à la plus contemporaine. Selon Bienvenu Gouem Gouem, «elles dressent et balisent un panorama inestimable qui dévoile beaucoup de choses; elles racontent une odyssée mystérieuse et extraordinaire, jusqu’à l’histoire la plus récente, celle dont nous pensions tout connaître».

Regard neuf
L’on aura tout compris du corpus de la conférence-débat sur le thème «Projets d’aménagements et opportunités de faire progresser les connaissances sur le passé du Cameroun, l’exemple de Lom Pangar». Grâce aux longues discussions y afférentes, les objets qui sont en vitrine apparaissent comme des mille-feuilles extraordinaires. Par le truchement d’un méga projet, nombre des représentations d’hier ont été nuancées, des pans entiers de cette histoire, jusque-là ignorés, ont été mis au jour. Preuve qu’il y a encore tant à apprendre, notamment sur les similitudes culturelles entre peuples du Cameroun. «Il est plausible de présumer que dans l’espace chronologique, qui se situe globalement entre au moins 500 ans avant Jésus-Christ et 100 à 200 ans après, les communautés villageoises des actuelles régions de l’Est, du Centre-Sud et du Littoral atlantique du Cameroun, aient entretenue de solides contacts et/ou d’échanges harmonieux, dans le cadre d’un vivre ensemble “primitif” propre à leur époque», théorise Bienvenu Gouem Gouem.

Il ajoute que la véritable force des objets trouvés à Lom Pangar réside dans le fait qu’ils viennent bousculer plusieurs vérités admises jusque-là dans des cercles d’histoire et d’archéologie. «Je rappelle que pour les pipes, nous avions tendance à penser que c’était un phénomène de diffusion qui était venu de l’extérieur, pour l’Afrique. À Lom Pangar, nous avons pu établir que les pipes sont d’une invention locale, parce que leurs datations sont antérieures [à la période coloniale]», précise Michel Ndoh, le commissaire de l’exposition. Mais il poursuit: «Les pipes les plus anciennes de Lom Pangar datent du 15e siècle. À cette époque, les Occidentaux n’étaient certainement pas encore présents à Lom Pangar. C’est une invention locale. Comme le fer, on a pensé, pendant longtemps, que la pipe venait de l’Occident».

 

Dans l’antre du programme de sauvetage

Commencé en avril 2014, le programme de sauvetage archéologique sur l’emprise globale du chantier de construction du barrage hydroélectrique de Lom Pangar apparait aujourd’hui comme le plus grand projet de gestion du patrimoine culturel jamais réalisé en Afrique centrale. Il a été entrepris par EDC, sur financement du gouvernement du Cameroun, grâce à un prêt accordé par l’AFD.

Ce programme a permis de découvrir 704 sites archéologiques, et de collecter plus de cent mille artefacts datant de l’Âge de la pierre jusqu’aux périodes subactuelles. Il a également ouvert la voie aux analyses des matériaux récupérés sur ces sites, et d’atténuer les effets de la construction du barrage sur le patrimoine culturel se trouvant sur l’emprise du projet.

Jean-René Meva’a Amougou

Ils ont dit…

Benoît Lebeurre, directeur AFD Cameroun

«Une vraie réussite»

Pour beaucoup, les mots «barrage» et «archéologie» n’ont pas grand-chose à faire ensemble. Pourtant, depuis la signature, en 1972, de la Convention internationale de l’Unesco sur la protection des ressources culturelles physiques, la volonté de concilier le développement des grandes infrastructures et la préservation du patrimoine n’a eu de cesse de se renforcer. Le Cameroun et la France, tous signataires de cette convention, ont mis en pratique cette volonté partagée dans le cadre du barrage de Lom Pangar.

D’un point de vue scientifique, il s’agit d’une vraie réussite, notamment dans l’amélioration de la connaissance du passé de la zone et de la région du barrage en particulier, mais du Cameroun en général.

 

Théodore Nsangou, directeur général de EDC

«Un voyage unique dans le temps»

Riches en enseignements, ces découvertes sont au cœur d’une démarche de valorisation scientifique que nous avons décidé de porter à travers une exposition… Grand moment d’authenticité, l’exposition consacrée aux vestiges archéologiques de Lom Pangar offre un voyage unique dans le temps; occasion de revisiter le passé de la vallée du Lom, à travers ses épopées non écrites, ses vestiges rares, ses richesses prodigieuses et ses souvenirs enfouis qui garnissent, de manière singulière, notre patrimoine et font vivre la mémoire collective.

 

Bienvenu Gouem Gouem, archéologue et chef de mission Vabioce

«Une excellente opportunité pour les archéologues»

Au Cameroun, c’est l’un des rares projets de cette envergure ayant permis de sauvegarder une aussi importante quantité de vestiges…C’est pourquoi, malgré les menaces qu’ils représentent souvent pour le patrimoine archéologique, les projets continueront néanmoins à se présenter comme d’excellentes opportunités pour les archéologues, chaque fois que l’aspect préservation du patrimoine culturel sera pris en compte.

 

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