Tweeter, le grand jeu de Paul Biya

Certains lui ont tissé des lauriers de recordman national. Ces derniers temps, Paul Biya n’a pas craché sur un autre record à travers le volume de tweets déployé sur sa page officielle. En retenant la date du 22 avril 2019 comme point de référence, le président de la République s’est exprimé 19 fois, pour une moyenne de 1 tweet par jour au 14 mai 2019.

La pléthore et la superposition des messages  suffisent à charrier son lot de représentations et de discours,  rédigés en français et en anglais,  par le pensionnaire du palais d’Etoudi. On dirait que ce dernier a (enfin) compris qu’à l’ère du numérique, chaque mot compte. Chaque tweet  pourrait contribuer à bâtir, à son profit, un nouveau sacre médiatique au sein d’une opinion plus nerveuse, versatile et irrésolue.

Ainsi, pourrait-on parler de résilience tant l’adhésion du peuple avec son dirigeant a eu tout de la durée de vie d’un papillon de nuit, après le triomphe du 7 octobre 2018. Normal donc que Paul Biya et ses officines de com’ aient revu leur copie. Dans leur nouvelle démarche, ils ont opté pour le tweets, pour allier en un clic, démonstration symbolique, ostentation iconographique et incantation verbale.

Et que dire du timing ? Paul Biya sort son jeu au moment où le Nord-Ouest et le Sud-Ouest sont dévastés par le cyclone sécessionniste, sont en proie au pillage et à la désolation ; au moment où la profusion informationnelle renforce les scènes chaotiques, disruptives qui secouent et électrisent les opinions. Au vrai, l’entrechoquement immédiat des événements semble avoir ouvert une béance sous ses pieds.

Un peu loin de ces pistes qui offrent une prise sans précédent aux controverses en temps réel, des intellectuels construisent des théories. D’un côté, l’on pense que Paul Biya, 86 ans, multiplie des sorties sur twitter dans la perspective de son départ. De l’autre, l’on estime que l’opération de com présidentielle  est davantage une reconversion d’un personnage à la parole publique rare.

 Jean-René Meva’a Amougou

 

François Bingono Bingono

« Lorsqu’on est au crépuscule de sa vie, l’on se doit de parler afin de laisser quelque chose à la postérité ».

L’anthropologue et patriarche Ekang déroule sa grille de lecture des tweets présidentiels.

 

Comment comprendre la récurrence des tweets du président de la République pour un homme qui autrefois, était peu bavard ?

Le public est assez ahuri de voir subitement que le chef de l’Etat qui ne communiquait pas beaucoup, soit devenu une récurrence communicationnelle d’après eux. Surprenant, il communique par tweet et ce depuis l’annonce de sa candidature à la récente élection présidentielle. Ma réaction est fort simple. Toute culture est dynamique. Aucune culture ne saurait évoluer si elle ne s’ouvre pas aux autres. N’oublions pas que le président Biya est un négro africain. C’est un Bantou, c’est aussi un Ekang. Pour élargir, le Bantou est un homme de la chaleur communicationnelle. Il y a une question classique chez le peuple Ekang qui veut qu’on pose régulièrement la question. Que dit-on ? Et quand il n’y a personne pour réponse à cette question, là commence la rumeur. Et pour éviter que la rumeur ne s’ébranle, ceux dont on attend d’un certain discours, sont obligés de communiquer le plutôt possible afin de mettre fin à « Que dit-on » et à la rumeur.

Comment comprendre que cette spontanéité  qu’une certaine opinion associe à l’âge du président?

Ce sont des non africains qui peuvent parler ainsi. Les gens estiment que Paul BIYA est au crépuscule de sa vie alors il donne son héritage à travers ses tweets. Ce qui renvoie à la parémiologie, c’est-à-dire ce qui s’apparente aux maximes et proverbes. Ce qui signifie que lorsqu’on est crépuscule de sa vie, l’on se doit de parler afin de laisser quelque chose à la postérité. Chez les Ekang, on ne meurt pas selon une chronologie qui a trait à l’âge. Ce n’est pas parce que l’on est sexagénaire, octogénaire ou centenaire, qu’on va mourir avant les enfants de 5 ou de 25 ans.

Oublions ces concepts que nous empruntons au contexte dit de civilisation. Tel est au crépuscule de sa vie donc, il va mourir bientôt. Regardons plutôt la posture du dirigeant négro africain. Chaque adulte sait qu’il peut partir à tout moment. Et pour ne pas partir sans avoir dit l’essentiel, l’adulte à partir de 60 ans commence à injecter progressivement des modalités de prise en charge de sa famille notamment ceux dont il a la gestion pendant qu’il est en vie. S’il ne commence pas maintenant, il peut le regretter. Peut-être que les tweets offrent une facilité de communication. Mais qui vous dit que le président ne communiquait pas d’une autre façon ?

Le président de la République a toujours communiqué. Ce qui est nouveau ici, c’est le moyen de communication, c’est-à-dire le tweet. Ce qui est sûr, c’est que le président dit des choses à ses plus proches collaborateurs. C’est sûr qu’il y a encore des choses plus sécrètes qu’il communique à ses proches que ces derniers ne sauraient dire publiquement. Il y a une évidence, ceux qui sont autour du président, ont beaucoup à nous apprendre sur l’homme et sur ce qu’il dit concernant le Cameroun, le peuple camerounais. Pourquoi le président édifie-t-il à partir de son livre Pour le libéralisme communautaire ? Quel âge a le président à cette époque ? Il est un adulte et il communique. Mais à cette époque, les outils de communication ne sont pas les même qu’aujourd’hui. En communiquant par les tweets, le président suit l’évolution du temps. Aujourd’hui, on peut tweeter. Et pourquoi ne pas le faire si par ce canal, on peut faire passer un message et atteindre facilement les masses ? On ne peut donc pas en vouloir au chef de l’Etat qui s’accommode aux réalités du moment.

Prenons le fond de quelques-uns de ses tweets notamment où l’on note des expressions telles que le pardon et le patriotisme. Comment comprendre cette tendance ?

Ce sont des thématiques conjoncturelles. C’est-à-dire celles qu’impose l’actualité camerounaise d’aujourd’hui. D’aucuns peuvent les qualifier de conjoncturelles. D’après moi, ce sont des redites. Le président a parlé de tous ces thèmes dans la plupart de ses discours. Ce n’est qu’une forme d’insistance par rapport à ce qu’il a déjà dit. Je ne suis pas de ceux qui pensent que c’est une nouveauté. Ce qui est nouveau ici c’est le canal, le moyen de communication. Pour moi, la seule innovation, c’est la modalité qu’offre le tweet. S’il le faisait à la radio, à la télé et dans la presse écrite, certaines langues s’élèveront pour dire qu’il fait de trop. Rappelons-nous de certains membres du gouvernement qui étaient tout le temps à la radio, à la télé. Que n’a-t-on pas dit sur ces membres du gouvernement ? Le président n’est pas tombé dans ce piège. L’avantage du tweet, c’est sa concision. On peut l’injecter dans l’opinion sans que ça ne soit de trop.  Les interventions à la radio et à la télé auraient pu déranger assez vite.

 

 

Symplice B. MVONDO

« Le président de la République veut rajeunir son image à travers ses tweets»

Le sociopolitiste et chercheur associé au GRESDA donne une idée de son analyse des tweets de Paul Biya.

 

 Selon vous, quelle interprétation peut-on faire de la série de posts du président de la République ces derniers temps ?

D’abord, on peut dire qu’une pareille démarche répond bien à l’air du temps (ou la mode) du point de vue de la communication politique. En effet, presque tous les dirigeants politiques ont aujourd’hui un compte tweeter. Certains ont même intégré cet outil dans leur stratégies de campagnes, les cas de Barack Obama et Donald Trump aux USA sont assez illustrateurs à ce propos (Donald Trump, lors d’une interview accordée à  Fox  News   le   15   mars   2017,   déclarera d’ailleurs que : « sans Twitter, je ne serais probablement pas là »).

Ensuite, on peut également lire, à travers une telle démarche, une volonté du président Paul Biya d’être désormais plus proche du peuple. En effet, aujourd’hui, on estime à plus de six millions le nombre de personnes ayant accès à Internet au Cameroun, plus de 3,5 millions de camerounais possédant un compte  Facebook  et plus de 77 mille possédant un compte  twitter. Il y a donc une potentielle cible pour les messages du Président.

Une troisième piste de lecture est que cette démarche ne participe que d’une stratégie de rajeunissement de l’image du président, tentant ainsi un rapprochement subtil vers la jeunesse qui représente aujourd’hui un peu plus de la moitié de la population et dont il semble demeuré sourd aux revendications (emplois, participation à la gestion des affaires, etc.). En effet, depuis la dernière victoire  des  Lions   indomptables  à  la Coupe des   Nations CAF 2017, on a remarqué dans l’univers communicationnel du président de la République, quelques gestes et expressions propres à l’univers culturel jeune de notre pays aujourd’hui. Cela va des expressions populaires comme « dans la sauce » ou« on les a fait ça cadeau » aux pratiques bien connues des jeunes comme les Rapport digital 2019 publié par We Are Social et Hootsuite selfies. L’une des principales critiques qu’on lui a souvent faite étant son âge très avancé (plus de 86 ans), on a donc l’impression qu’il veut nous dire qu’il est encore dans l’air du temps, qu’il est attentif à cette jeunesse et qu’il est à même de comprendre leurs problèmes.

Enfin, une dernière piste de lecture est plus circonstancielle et stratégique. En effet, ne pas prendre en  compte le contexte immédiat de l’apparition de cette nouvelle passion de bloggeur chez notre Président serait une erreur, surtout lorsqu’on prend en compte la signification des messages diffusés. Et sur ce point, deux propositions peuvent être faites.

D’abord que le Président semble avoir pris la mesure de la situation délétère dans laquelle se trouve aujourd’hui le pays, aux prises avec de nombreux facteurs d’instabilité, tant  au niveau de ses frontières (avec Boko Haram dans les régions septentrionales, et les incursions des bandes armées au niveau de ses frontières orientales) qu’à l’intérieur du pays et dans sa diaspora (montée du tribalisme, enlisement de la crise anglophone, tensions politiques, etc.), ce qui justifierait que ses messages aux Camerounais tournent essentiellement autour de l’appel à l’apaisement, la tolérance et au patriotisme.

Il faut donc resserrer les rangs au nom de la patrie, et dans ces circonstances, une communication peu expressive ne peut plus marcher, et surtout, il faut prendre les devants. Ensuite, dans ce même sillage, on peut également dire que cette démarche participe de l’attitude d’une personne âgée qui se questionne sur son héritage et qui voudrait laisser un message positif, et  à ce propos, ses dernières adresses discursives au peuple   (le 31 décembre et le 10 février derniers) aux allures de discours bilan  et discours appel, semblent le confirmer.

Propos recueillis par

Telesphore  Mbondo Awono

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