Crise anglophone : Paul Biya active de nouveaux leviers d’apaisement

Dans sa stratégie de rebond, le chef de l’État pourrait prendre des décisions exceptionnelles avant le 20 mai prochain.

Paul Biya a-t-il constaté que, relativement à la situation sociopolitique dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, son magistère politico-militaire s’est dilué au fil du temps ? La réponse est à lire dans la sortie (très médiatisée) de Chief Joseph Dion Ngute à Bamenda la semaine dernière. Sur la foi des propos rapportés sur Twitter par CRTV web le 10 mai 2019, le Premier ministre (PM) a déclaré que «le président de la République est prêt à organiser un dialogue formel pour résoudre la crise». Évitant à dessein de parler d’un quelconque compromis, l’envoyé spécial du chef de l’État a davantage implicitement parlé d’une décision unilatérale en forme de main tendue du président de la République. Il s’est résolu à ajuster son tir en infléchissant sa position face à une défiance devenue incontrôlable.

Dans son laboratoire d’idées, Paul Biya a usé d’un premier levier : mettre autour de la table le plus grand nombre d’acteurs possible pour discuter de la sortie de crise, suivant un ordre du jour déjà arrêté. Chief Joseph Dion Ngute l’a d’ailleurs décliné : «hormis la séparation et la sécession, parce que lui en tant que chef de l’État, il a juré de garder le pays uni, donc la séparation n’est pas à l’ordre du jour, tout autre point peut être discuté. Tout problème politique peut être discuté et il est en train d’organiser une rencontre au cours de laquelle il va débattre de ce problème ».

Selon des hommes de « réseaux », un second levier pourrait accompagner le premier dans les prochains jours. D’ici le 20 mai, jour de la fête de l’Unité du Cameroun, quelques gros bonnets de la crise anglophone, actuellement en détention, pourraient bénéficier de la grâce présidentielle. Parce que c’est l’un des paramètres qui ont longtemps structuré la radicalisation dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, cette remise en liberté est un signe d’apaisement très attendu avant le début du dialogue.

Nos sources renseignent aussi que le temps est aux grandes manœuvres entre Yaoundé et certains leaders d’opinion. À Bamenda, le 10 mai dernier, Ni John Fru Ndi s’est entretenu avec le PM. Le président du Social Democratic Front (SDF) a souhaité que lui soit confiée la responsabilité de médiation entre les élites anglophones. Et selon le sens d’orientation que le gouvernement veut donner à la « grande palabre », le nom du Cardinal Christian Tumi est aussi chuchoté. Le tout est, apprend-on, de fructifier les acquis des consultations engagées par le prélat dans la perspective de la tenue de la All Anglophone Conference.

Vu sous cet angle, le troisième levier de Paul Biya permet de procéder à un premier tour exploratoire, avant de faire le point sur des positions en présence. Toujours au centre du jeu, il laisse mijoter un petit monde en se gardant de donner un indice définitif sur celui ou celle qu’il pourrait adouber in fine. En tout cas, a commenté Jean-Baptiste Atemengue sur les antennes de la radio urbaine Satellite FM, émettant à partir de Yaoundé, « dans cette période, on doit avoir une seule préoccupation : la sortie de crise. Chacun doit prendre ses responsabilités. On a besoin de paroles et de gestes politiques qui appellent à l’apaisement ».

Jean-René Meva’a Amougou

 

Dion Ngute ou le coup de com dans la jungle

Au Nord-Ouest, le PM a tenu à appliquer scrupuleusement un ensemble de power points, avec de la communication comme supplément d’âme pour tenir le front médiatique et le terrain de l’émotion.

 

Au lieu d’un voyage à minima, Joseph Dion Ngute sait que l’heure est venue de tout changer pour que tout ne continue pas de se dégrader, de se déliter, de se désespérer. Pour un serviteur de Paul Biya chargé de le faire, il ne pouvait pas descendre au Nord-Ouest avec un discours sans axe fort ni perspective affirmée. Pour faire « fort », il fallait sortir du traintrain langagier d’antan.

Facile de deviner pourquoi, au marché de Nkwen le 10 mai dernier, l’envoyé spécial de Paul Biya a prononcé des mots dont la finalité était de donner du souffle à l’offre de dialogue de son patron. Le tout s’est fait dans un pidgin english qu’il a particulièrement travaillé. Dion Ngute en a donc grossi le trait pour espérer se faire entendre. Devant les délégués d’étudiants de l’Université de Bamenda, il n’a pas fait le choix d’une parole rare, contrôlée. Parler aux cop’s comme un cop’s, la presse à capitaux publics en a fait un fromage. Normal : voici venue l’heure d’utiliser la communication pour résoudre la crise anglophone. Suffisant pour que, dans l’espace consacré à la propagande du RDPC sur la CRTV-radio jeudi dernier, Paul Célestin Ndembiyembe théorise : «dans une crise sociopolitique, il faut doser ses messages, privilégier ou éviter certains canaux de communication en fonction des publics visés ».

Sous le scalpel des grands cliniciens de la chose politique au Cameroun, Joseph Dion Ngute est le second Premier ministre que Paul Biya jette publiquement dans les jungles du Sud-Ouest et du Nord-Ouest. Rassembler : tel est le défi qu’il doit relever pour son patron. Là, on ne discute plus du sexe des anges. Le moment serait donc venu de démontrer que Yaoundé a pris conscience du problème et que les autorités sont prêtes à franchir une nouvelle étape dans la construction d’un dialogue franc ; même si le cadrage dudit dialogue fait débat parce que circonscrit aux seuls thèmes retenus par Paul Biya.

Mais au moins, Dion Ngute a procédé au repérage de la population directement concernée par les méfaits de la crise en allant à sa rencontre. Visiblement, il a jugé meilleur ce vecteur pour montrer quelles sont les solutions adaptées pour dépasser le danger. Sur ce plan, on peut sommairement dire qu’il a réussi. Mais, l’on garde aussi à l’esprit que tout changement de langue peut donner lieu à des embardées et pertes de contrôle irréversibles. Dans le même temps, et bien plus encore, un grand chantier est à ouvrir en matière de leadership sur ceux qui discutent avec le PM.

Jean-René Meva’a Amougou

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