Viviane Ondoua Biwole : la mauvaise gouvernance menace les objectifs du budget 2018

Grâce à ses nombreuses publications dans les domaines de l’entrepreneuriat et de la PME et de la gouvernance, le directeur général adjoint de l’Institut supérieur de management public est depuis la fin de l’année dernière maitre de conférences. A la lumière de cette expérience accumulée depuis une vingtaine d’année, l’enseignante à l’université de Yaoundé II-Soa estime que l’hybridation du modèle de gouvernance du Cameroun est la source des contreperformances de son administration publique. Elle explique comment et pourquoi.

Viviane Ondoua Biwole, DGA ISMP.

Le budget 2018 est désormais exécutoire. Cinq grandes priorités apparaissent pour le Cameroun : continuer les efforts de redressement afin d’équilibrer les agrégats macroéconomiques (programme avec le FMI), poursuivre son programme de développement avec l’exécution des grands projets et l’accélération de la décentralisation, améliorer son image en tirant avantage de l’organisation de la CAN 2019, organiser les élections prévues et assurer la sécurité intérieure et aux frontières. La question qui s’impose alors est de savoir avec quel mode de gouvernance ces résultats seront atteints ?

 

  • Tirer les leçons des échecs antérieurs

Il n’est ni impertinent ni honteux de tirer les leçons des échecs antérieurs. En effet, il est difficile de comprendre pourquoi les outils tant vantés dans d’autres environnements pour leurs vertus peinent à produire les mêmes résultats au Cameroun. Est-ce parce que les outils de gestion importés notamment d’Europe et des USA ne sont pas viables ou sont peu adaptés à notre contexte ? Qu’est ce qui nous rassure que les grands projets structurants de cette génération ne subiront pas le même sort que les autres projets ? Quelles précautions devons-nous prendre pour que l’année 2018 soit différente ?

Si la question peut paraitre simple, sa réponse n’est pas évidente. Elle mérite une analyse approfondie qui dépasse les anecdotes souvent entretenues par divers acteurs ou des réponses superficielles relatives à la culture camerounaise ou à son contexte souvent qualifié de spécifique. Ce questionnement est d’ailleurs au cœur des préoccupations actuelles en management. Un article a été publié en 2017 dans la revue française de gestion sur l’analyse comparative  internationale de la qualité de la gouvernance des entreprises. Son objectif était de savoir des trois modes de gouvernance identifiés (anglo-saxon, européen continental et asiatique) lequel pouvait être considéré comme meilleur au regard des scores de l’agence de notation sociétale Vigéo. Il ressort de cette étude réalisée auprès de 434 entreprises pendant la période 2010-2014 que les entreprises anglo-saxonnes détenaient les scores les plus élevées concluant sur la supériorité de ce mode de gouvernance.

Plusieurs arguments sont utilisés pour expliquer la supériorité du mode de gouvernance du modèle anglosaxon : le contrôle des dirigeants par les marchés financiers (la force régulatrice étant ici le marché financier) ; par conséquent la nature patrimoniale et familiale des entreprises entrainerait une faible performance. Par comparaison au contexte camerounais, on comprendrait pourquoi les entreprises publiques non exposées à la concurrence, disposant d’actionnaires non propriétaires sont très peu performantes. L’une des raisons de ce constat est la défaillance de l’autorité réglementaire, la proximité que les hauts fonctionnaires entretiennent avec le ministère des Finances qui biaise l’objectivité dans le choix budgétaires. Il faut ajouter la forte influence des services de la présidence et du Premier ministre dont les missions souveraines sont convoquées par leurs représentants comme arguments pour échapper à la rationalité budgétaire pourtant retenue pour les arbitrages.

 

  • Usage peu efficace d’un mode de gouvernance hybride

Le fonctionnement de l’administration publique laisse apparaitre une hybridation des modes de gouvernance. Cette hybridation n’est pas sans conséquence sur le contrôle des dirigeants, la rationalité dans l’allocation des ressources et la gestion des ressources humaines. A l’analyse, elle consacre une cohabitation conflictuelle entre la gouvernance empruntée au modèle anglo saxon (budget programme alors reconnu pour ses vertus) et le modèle patrimonial plus proche du modèle asiatique. Le modèle de gouvernance asiatique est caractérisé par une faible indépendance des conseils d’administration, une faible importance accordée à la fonction d’audit et au contrôle des dirigeants.

Il est vrai que ce n’est pas la nature hybride qu’il faut blâmer mais davantage l’incohérence des outils de gestion mobilisés dans ce contexte. Il est en effet contreproductif de « faire semblant » d’appliquer les outils du modèle de rationalisation des choix budgétaires alors que l’on sait que cette décision est neutralisée par une autre pratique de nature patrimoniale qui anéantit l’effet recherché par l’outil de rationalisation. Il convient alors, à défaut d’ « inventer » des outils de gestion qui correspondent à cette hybridation (qui combine les éléments empruntés des deux modèles), de privilégier un mode de gouvernance (anglosaxon ou patrimonial de type asiatique) avec une cohérence dans l’usage des outils.

Si c’est l’hybridation qui est privilégiée comme c’est le cas dans les discours et les actons des décideurs publics, il convient alors de questionner la nature de cette cohabitation en terme d’ampleur, de complémentarité et de cohérence. Rappelons en effet qu’en 2011, 94% d’administrations disposaient d’un cadre organique. Le cadre organique, crée et organise les emplois des fonctionnaires au sein de l’administration (attributions et exigences de chaque emploi et poste de travail). Le DSCE a prévu la mise en place des cadres organiques et leur respect en cas de nomination (DSCE, p. 100). Malheureusement, les objectifs poursuivis par la mise en place de ces cadres organiques seront difficilement atteints, car s’il est vrai que les cadres organiques ont été élaborés dans les délais, leur application lors des mouvements d’effectifs reste très mitigée (budget programme du MINFOPRA 2014, p. 41). Les critères de nomination ne sont pas toujours maîtrisés du public.

Et pourtant, l’efficience de la fonction publique guidée par le budget de programme vise également la prise en compte de la compétence individuelle lors des recrutements et des nominations.   A cet effet,  Il existe à ce jour deux modalités de nomination dans l’administration publique camerounaise : une dite discrétionnaire et une par appel à manifestation d’intérêt (cas des projets cofinancés Etat-bailleurs bilatéraux ou multilatéraux). Quand l’Etat veut la performance il sait à quelle modalité il fera recours. Notons alors pour le regretter, l’absence de textes instituant les appels à manifestation pour le recrutement et la nomination de certains postes dans l’administration. Ce qui constitue un réel frein à l’efficacité de celle-ci. A titre d’illustration, les projets (de coopération) de l’administration dont les postes sont pourvus par appel d’offre sont plus efficaces que ceux dont la nomination est discrétionnaire. Et c’est ce mode de désignation qui est privilégié, en toute conscience dans la majorité des postes. La cohabitation des modes de gouvernance anglosaxon et asiatique (patrimonial) laisse apparaitre une prédominance du modèle patrimonial.

 

  • L’urgence d’inventer des outils de gestion cohérents à l’hybridation affichée

L’efficacité de l’exécution du budget de 2018 est soumise à la nécessaire mise en cohérence du modèle de gouvernance et les outils de gestion qui en découlent. Il nous semble alors urgent de réinventer les outils de gestion qui tiennent compte de cette dualité pour éviter que les effets positifs de l’un des modèles soient neutralisés par l’autre modèle. Nous avons observé l’émergence de ces outils dans certains secteurs où l’impératif des résultats n’est pas une option mais une exigence. Il s’agit des secteurs des administrations financières qui comme les autres administrations sont régies par certaines règles découlant du modèle patrimonial, mais s’impose des contrats de performance. C’est le cas également des projets réalisés avec les bailleurs de fonds dans divers secteurs de l’agriculture et des forêts. Dans ces contextes, les outils (re) inventés permettent d’assurer la performance. Les responsables concernés sont conscients de la coexistence de l’hybridation en vigueur et s’adapte aux exigences de cette réalité.

Dans d’autres cas, pour corriger les dysfonctionnements occasionnés par l’usage du modèle patrimonial, le recours aux comités (souvent perçus comme abusifs) s’avère nécessaire. La prédominance du mode de gouvernance patrimonial impose alors pour prétendre à une performance minimale, de mettre en place des comités et commissions dont l’objectif est de servir de « sapeurs-pompiers » aux secteurs et projets peu performants. C’est un choix qui n’est pas sans conséquence aussi bien en ce qui concerne le gaspillage des ressources que la confiance nouée à travers le contrat social conclut avec la population. Pour reprendre une expression connue, vous entendez souvent dire : « Au Cameroun, quand un problème survient au lieu de le résoudre ou sanctionner les coupable, une commission est créée pour noyer définitivement la question ». En fait la question n’est pas « noyée » mais la commission identifie les dysfonctionnements et y apporte des solutions sans pour autant modifié l’ordre établit par les pratiques du modèle patrimoniale.

Il nous semble que c’est cette cohabitation inefficace, cette superposition de modèles avec une prédominance du modèle patrimonial opposer aux objectifs nécessitant plus de rationalité qui constitue un véritable frein à la réalisation des projets. En fait le mode de gouvernance actuellement en vigueur produit des effets qui se neutralisent et bloquent le système.

Au regard de ce qui précède, deux solutions sont envisageables : décider de la primauté soit du modèle anglo-saxon ou soit du modèle patrimonial et retenir les outils de gestion cohérents qui en découlent ; inventer des outils adaptés à l’hybridation des deux modèles et les appliquer dans tous les domaines dans l’optique d’accroitre la performance. Il convient de dire que le choix du modèle hybride va nécessiter plus de cohérence et de discipline et un engagement politique fort pour arbitrer selon la rationalité économique (moins politique) au regard du contexte actuel caractérisé par le redressement de l’économie et de la rareté des ressources.

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