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Isaac Essamé : «Il n’y aura pas de suppression des postes de gouverneurs et de délégués du gouvernement»

Expert en décentralisation, ce diplômé du Centre de formation pour l’administration municipale (CEFAM) analyse les futures implications de la mise en place des régions.

 

Quelle analyse vous inspire l’adoption récente au Parlement, de lois sur les élections régionales à venir ?
La récente adoption des textes au Parlement relatifs aux prochaines élections régionales constitue une suite logique des revendications des régions, annoncées depuis 1996 et de l’engagement du chef de l’État à accélérer le processus de décentralisation. Les crises sociopolitiques qui affectent le pays imposent également la mise en place des régions, collectivités territoriales décentralisées.

Quel commentaire faites-vous sur la loi fixant le nombre de conseillers par région ?
La loi fixant le nombre de conseillers par région avait été annoncée depuis 2004. Son adoption rend possible l’organisation des élections régionales. Elle consacre l’égalité des régions avec un nombre égal de conseillers régionaux.

Pour certains analystes, l’attribution d’un nombre fixe de conseillers par région ne respecte pas la démographie et la loi 2006 sur le nombre de conseillers…
Ils ont raison sur l’aspect démographique. Mais, la loi de 2006 invoquée n’existe pas. Avant la dernière session parlementaire, aucune loi n’avait encore fixé le nombre de conseillers par région, même pas le code électoral de 2012. Ils souhaitent manifestement transposer les règles fixant le nombre de conseillers municipaux aux régions. Malheureusement, ni le constituant ni le législateur n’ont imposé ces règles aux régions. L’État a préféré l’égalité à l’équité, peut-être pour prévenir d’éventuels mécontentements qui découleraient des inégalités entre régions dans un contexte de surenchère politique et de réclamation de plus d’autonomie des collectivités territoriales décentralisées. Les régions ont certainement plus de pouvoir et plus d’autonomie que les communes.

Concrètement, que vont apporter les régions dans un contexte politique de forte centralisation du pouvoir ?
Les régions auront plus de moyens financiers. Leur action se situe à un niveau plus élevé, notamment la région. Si le président du conseil régional et les conseillers régionaux sont éveillés, dynamiques et intègres, les régions se doteront rapidement d’infrastructures et ressources permettant d’assurer le développement de la région et l’amélioration du cadre de vie des populations. S’ils viennent pour des postes, le pouvoir et l’argent, alors ce qui est arrivé aux communes arrivera aux régions et les populations locales n’auront rien à attendre des régions.

Il faut surtout attendre 2020 pour observer leur fonctionnement, car les services qui vont les accompagner ne sont pas encore connus. Les 8 milliards de francs CFA prévus cette année seront simplement affectés à rémunération des membres des organes des régions. Les populations n’ont rien à attendre pour l’instant.

Devrions-nous nous attendre à une suppression des postes de gouverneur et de délégués du gouvernement auprès des communautés urbaines ?
Il n’y aura pas de suppression de postes de gouverneurs et de délégués du gouvernement. Le gouverneur est dans une région ce que le sous-préfet est dans l’arrondissement. Il n’y a pas d’interférences entre les circonscriptions administratives et les collectivités territoriales décentralisées, même si elles couvrent les mêmes limites territoriales. La loi a déterminé les compétences de chacune d’elles et de leurs autorités. Il suffit que chaque acteur reste dans son couloir et agisse dans la limite de ses compétences.

S’agissant du procès malicieux fait à la communauté urbaine, il importe de rappeler les dispositions de l’article 55 alinéa 1 de la Constitution: «Les collectivités territoriales décentralisées de la République sont la région et la commune. Tout autre type de collectivités territoriales décentralisées est créé par la loi». La commune urbaine fait partie du régime spécial des communes consacrées par la loi n° 2004/18 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes.

…Le délégué du gouvernement n’est pas, en dehors du rang protocolaire, le supérieur hiérarchique du maire. Aucune collectivité décentralisée n’exerce la tutelle sur une autre. Les lois ont prévu la coexistence de toutes ces autorités. Il n’y aura donc pas la suppression de certaines. Elles ne peuvent entrer en conflit que si elles se détournent de leur mission, qui est la satisfaction des besoins des populations locales, pour leurs intérêts personnels…

Il convient de préciser que sur les 360 communes du Cameroun, les 14 communautés urbaines ne couvrent que 45 communes d’arrondissement, 315 communes étant en dehors des communautés urbaines.

Bien plus, le conseil de la communauté urbaine n’est composé que des élus locaux venant exclusivement des communes d’arrondissement couvertes par la communauté urbaine, à raison de 5 conseillers et du maire par commune. C’est le conseil de la communauté urbaine qui vote les délibérations et qui autorise les actions du délégué du gouvernement. Le procès est simplement fondé sur le contrôle des ressources. Le délégué du gouvernement n’est pas, en dehors du rang protocolaire, le supérieur hiérarchique du maire. Aucune collectivité décentralisée n’exerce la tutelle sur une autre. Les lois ont prévu la coexistence de toutes ces autorités. Il n’y aura donc pas la suppression de certaines. Elles ne peuvent entrer en conflit que si elles se détournent de leur mission, qui est la satisfaction des besoins des populations locales, pour leurs intérêts personnels.

Quelle interprétation faites-vous de l’article 58 de la Constitution qui porte sur le délégué régional ?
Le représentant de l’État dans la région s’appelle délégué régional. Il s’agit précisément du gouverneur. Il va assister au conseil régional. Sa mission est de préserver les intérêts de l’État et faire respecter la légalité aux organes de la région. Il s’agit d’un contrôle de légalité et non d’opportunité. Il n’y a pas de décentralisation sans tutelle. Certains acteurs véreux entretiennent même la confusion entre autonomie et indépendance.

Il n’y a pas non plus de tutelle sans texte et en dehors des textes (article 67 de la loi d’orientation de la décentralisation). En cas d’abus de tutelle, les organes de la région sont libres de saisir le juge administratif. Tant que les collectivités territoriales décentralisées agiront en toute légalité, les autorités de tutelle n’auront aucun moyen de chantage et de blocage contre elles. Si elles choisissent les intérêts privés et individuels de leurs dirigeants aux dépens des populations locales, elles tomberont dans le même piège que les communes.

 

Propos recueillis par Ifeli Amara

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