CONTRE-ENQUÊTEPANORAMA

Mvomeka’a : Au secours ! Professeur de lycée en danger

Ces derniers temps, le quotidien scolaire expose à d’innombrables écarts de conduite. Du bavardage en classe entre élèves à la bagarre de cour de récréation, du refus de travailler aux insultes, de l’absentéisme au passage à tabac… La liste est longue. En zone rurale ou en ville, ces ruptures de l’ordre quotidien ne paraissent pas d’égale gravité.

Il reste néanmoins qu’à l’école de Ndangueng, au lycée bilingue de Deido ou encore au lycée bilingue de Mvomeka’a, la cour de récréation, les bureaux de responsables apparaissent comme des espaces privilégiés pour la distribution de coups et d’injures. Dans les classes, la tension est palpable, les incidents multiples. Dans les groupes, on apprend. Les élèves s’abandonnent ainsi aux portes du diable, à travers ce qu’ils appellent eux-mêmes « charters ». Drogues, sexe et alcool y dictent leur loi. Dans les campus, malgré des saisies, l’offre en stupéfiants est toujours abordable, parce qu’alimentée par une demande discrète, mais soutenue.

Conséquences : entre élèves, la violence s’actualise. Sa régulation nourrit les tensions entre parents et enseignants, entre élèves et enseignants, mais rarement entre élèves et parents. Quant aux parents, ils sont absents et muets, sauf lorsque la justice s’en mêle. Le comble, c’est quand la plupart des heurts avec les enseignants se cristallisent sur les incidents et leur gestion, perçue comme insatisfaisante.
À l’aide des faits, le présent dossier passe en revue des cas, donne la parole aux acteurs et expose des pistes de sortie.

 

Jérémie Eyenga, molesté par des élèves régulièrement inscrits au sein de l’établissement où il officie comme enseignant de sciences de la vie et de la terre. Ses bourreaux lui reprochent d’entretenir une relation amoureuse avec l’une de leurs camarades.

Depuis la mi-mars 2019, les nuits et les jours de Jérémie Eyenga ne sont plus paisibles. Un groupe de 8 élèves régulièrement inscrits au lycée classique et moderne du village natal de Paul Biya a décidé de faire la peau à l’enseignant «par tous les moyens». Dans la contrée, il est acquis que le châtiment est sans commune mesure avec la faute. Sur la foi du rapport médical que dresse le Dr Fils Beti de l’hôpital de district de Mvomeka’a, des coups et des sévices corporels graves (balafres sur les mains et sur le dos) ont été portés sur Jérémie Eyenga.

Epris d’un élan de soutien pour son enseignant, Jacques Didier Mintya, le proviseur du lycée de Mvomeka’a convoque un conseil de discipline. Les informations qui s’échappent de l’administration de l’établissement indiquent que les élèves épinglés ont été reconnus coupables de «brutalité outrancière sur enseignant et de consommation de stupéfiants». Selon certaines informations, ce verdit vaudrait des menaces de mort au proviseur. Contacté par nos soins, Jacques Didier Mintya nie tout en bloc arguant que la situation s’est déjà calmée.

Il pèse néanmoins un climat de peur au village natal du Président Paul Biya. Où certains parents font du trafic d’influence pour le retour des élèves incriminés sur les bancs du lycée. Ils entreprennent également des démarches pour le retrait de la plainte. Heureusement que le procureur de la République de Sangmelima (territorialement compétent) s’y oppose fermement.

Last but not the least
Il est à signaler que ce cas survient après celui vécu au lycée de Mvangan, toujours dans la région du Sud. Là-bas, rapporte-t-on, Nikita Ndoh Mbazoa, proviseur du lycée éponyme, a perdu l’usage d’un œil au cours d’une agression contre sa personne. De sources concordantes, le chef d’établissement a été pris à partie par des élèves et des parents mécontents de l’exclusion d’un élève pris en flagrant délit de vente de tramol au sein du campus. Le regard est désormais tourné vers la haute hiérarchie de ces enseignants.

 

Bobo Ousmanou

Les charters underground

Immersion dans ces fiestas au cours desquelles lycéens, collégiens et étudiants expriment une nouvelle façon de s’amuser dans l’excès et la démesure.

Soirée “charter” à Yaoundé

«Tu fais quoi dans la vie ?» Ici au perron d’une célèbre boîte de nuit située au quartier Elig-Essono (Yaoundé I), c’est l’une des premières questions que l’on pose à tout nouveau venu. C’est le règne du «je suis libre, donc je suis». Forcément, tous ceux qui y débarquent sont libres. Ils y viennent «pour s’amuser». Quelqu’un, à qui l’on attribue de surnom d’«Ancien parigot», explique la chose plus simplement: «S’amuser ici porte cette ambition presque enfantine et démiurgique d’inventer des mondes, des figures et des histoires qui n’ont de cesse d’ouvrir sur d’autres, d’accueillir sur un temps monstre et fragmenté, dans l’intimité d’un cerveau qui explose, quelque chose qui ait l’ampleur et la vibration quasi cosmique d’une multitude». Sous les tropiques, l’accent est bien celui de Paris, constate-t-on.

Dans cette boîte de nuit, la «multitude» semble bien désigner les jeunes collégiens, lycéens et étudiants. La moyenne d’âge ? Entre 16 et 25 ans. Ils débarquent de tous les milieux. À les écouter, l’on découvre que parmi eux, il y a un peu de tout: des angoissés des mathématiques, des imperméables aux sciences physiques, l’anglais et les autres matières. Il y en a aussi qui parlent de leurs souffrances indéchiffrables avec leurs directeurs de mémoire. Ils sont plus préparés pour la «récréation». Et chaque vendredi, c’est ici. «Début 2010, il y en avait une par mois. Aujourd’hui, c’est une par semaine. Entre 25 et 40 fêtards s’y déplacent chaque fois», affirme David, un malabar chargé de la sécurité. «C’est devenu un phénomène», dit-il.

Fiesta
Et pendant qu’on y est, une femmelette dit attendre les «autres». Ceux-ci arrivent. Cinq minutes après. En cortège rutilant. Facile en tout cas de présager que ce vendredi 5 avril 2019, la nuit commence à tracer ses récits. Sous les ors du couloir d’entrée, une voix de stentor décrète que «l’heure est grave !» En fait, elle est aussi tardive : 23 h 20. Puis, on accueille un ancien camarade. Plusieurs bouches le décrivent comme un personnage simple et plein de bonté. Il a des cheveux châtains, hérissés, figés par le gel, et porte des lunettes en plastique orange. Son géniteur serait un gros bonnet dans la capitale. C’est à partir de ses poches que se finance le bouquet de cette soirée exclusivement jeune. Entre allégresse et légèreté, une fille souffle que ce «fils de» est un cavalier bien né, « un prince ». «C’est lui qui sait rendre un charter agréable», souffle une autre. On apprend aussi que c’est à lui que revient le choix du «dress code» des filles, à chaque occasion.

Érotique
Ce soir, il est certain qu’il leur a été demandé d’être à la page. On comprend pourquoi le tee-shirt de l’une d’elles dévoile ses épaules et son soutien-gorge pigeonnant en dentelle rouge. Elle a un collant déchiré exprès sur sa cuisse fine et son mollet nerveux. Par ses allers et retours, une autre met en valeur sa jupe noire à paillettes d’argent ; elle est si mini qu’elle ne parvient pas à cacher la main de son petit copain du moment, collée à son sexe. Comme ses camarades, elle est à peine majeure.
À côté, des garçons sont là. L’un a les yeux mi-clos. Une fille lui mord les lèvres. Baiser mécanique, très loin d’un élan tendre. Elle en est tout de même excitée.

Ses gloussements de gamine sont étouffés par les basses assourdissantes de la musique électro. Elle se colle au torse fragile du jeune homme. Ses doigts manucurés, rose fluo, s’insinuent sous la ceinture. Elle saisit un coussin pour dissimuler la masturbation. Ce n’est pas érotique, plutôt pornographique. Mais personne dans la boîte de nuit ne paraît choqué. Autour de nous, partout, de jeunes couples éphémères s’enlacent sur les canapés en velours. Trois ados ricanant, armés de téléphones portables, photographient ces tableaux charnels, copies galvaudées de Roméo et Juliette. L’un d’eux, le regard déjà brillant, me hurle à l’oreille: «Bienvenue au charter! La soirée où tout est permis!» Il ajoute sans ciller : «La règle, c’est BTS: boisson, tabac, sexe». «Une anesthésie pour oublier la réalité, être dans une dimension parallèle» appuie l’«Ancien Parigot» à notre regard interrogatif.

Folie
Il est 1 h du matin. C’est l’heure à laquelle le «sponsor, fils de…» décrète la «soirée sans limites». Le concept semble inspiré des dessins animés, puisqu’on reprend en chœur Alice au pays des merveilles. De temps en temps, un bolide passe de table en table pour proposer du «mol». À fouiner un peu, le mot n’est que le diminutif du tramol. Mais il n’a pas que ça. Dans son blouson, plusieurs variétés de cigarettes destinées exclusivement aux filles. «Ça les rend plus élégantes», glisse-t-il avec beaucoup de méfiance. Aujourd’hui, son offre est promotionnelle : «une plaquette de tramol offerte pour l’achat de trois». Un très bon rapport qualité-prix et une substance bien meilleure que celle vendue dehors. Il accepte toutes sortes de moyens de paiement, y compris le mobile money, mais aussi le troc — vêtements neufs ou de bonne qualité, téléphones ou tablettes, bijoux.
Sur la piste de danse, on ne se cache pas pour avaler un cachet rouge.

Et puis l’effet suit. Certains déambulent pieds nus, d’autres hurlent sans raison. Les allures sont piteuses ; les démarches, molles et bancales. Au coin, une fille noire, vêtue de loques, divague à haute voix : elle parle à l’une de ses chaussures. Aidée par un garçon, une autre, la vingtaine, un visage arrondi, se déleste de son soutien-gorge. Elle se gratte la poitrine, prononce le nom d’un enseignant qui lui a arraché son bracelet en or. «Il va me sentir ! Oui, sentiiiiiir !», rugit-elle accompagnant la parole d’un geste de ses deux mains frêles. En face, un gars dodeline de la tête. Ses amis, visiblement en manque, raclent le sol, cherchent derrière les extincteurs ou les sièges une éventuelle plaquette perdue. Heureusement, le vendeur est généreux ce jour. Il en offre gratuitement. Objectif : «les maintenir là pour plumer le sponsor».

Jean-René Meva’a Amougou

Drogues en milieu scolaire

Le Cetic de Ngoa-Ekelle tient son masque de protection

La lutte contre la consommation des stupéfiants dans cet établissement d’enseignement secondaire marque par ses résultats.

Scène de vie au Cetic de Ngoa-Ekelle

Lorsqu’elle débarque à la tête du Cetic de Ngoa-Ekelle (Yaoundé III) en 2017, Christine Enyegue promet des exclusions à la pelle. C’est chose faite. De la politique de lutte antidrogue de la directrice de l’établissement résulte bien des dizaines d’élèves renvoyés. «Ils sont nombreux. Les cas de consommation de tramol et autres ont baissé», résume simplement le professeur des lycées d’enseignement technique. Nom de code de l’opération: «couper les routes de la drogue au Cetic de Ngoa-Ekelle».

Changement d’échelle
«Vu le nombre d’agressions armées, d’escalades spectaculaires et de bagarres ensanglantées entre élèves, nous avons considéré qu’il fallait passer au cran supérieur pour couper les routes de la drogue», dit l’enseignante. Selon elle, l’étape première a été la sensibilisation aux méfaits de la drogue. «Nous sensibilisons les enfants tous les jours que l’occasion se présente. On organise souvent des causeries éducatives», indique la directrice.

Il y a aussi la fouille systématique. Chaque matin, à l’entrée de l’établissement, les enseignants procèdent à une fouille corporelle des élèves, en vue de dénicher des armes blanches ou des stupéfiants de toute sorte. C’est la raison des fouilles inopinées dans les salles de classe. Au-delà des mesures sus évoquées, des caméras de surveillance sont installées dans les coins et recoins de l’école. «Parfois ils jettent leur sachet de stupéfiants dans des endroits reculés pour échapper au contrôle ; une fois dans l’établissement, ils vont les retirer. Ces appareils-là sont faits pour les suivre», révèle un encadreur sous anonymat.
À ce dispositif technologique, il faut ajouter un service d’action sociale.

La structure est constituée d’assistantes sociales, chargées de s’occuper des élèves dont le comportement ne sied pas au règlement intérieur, ou qui font face à des problèmes familiaux. D’après Nommo épouse Tchokonte, chef du service d’action sociale du Cetic, les élèves toxicomanes reconnus comme tels sont soumis à une procédure, sans répression. «Nous les envoyons subir des cures de désintoxication à l’Hôpital central de Yaoundé, avec le concours de leurs parents», affirme l’assistante sociale. Plusieurs élèves «délinquants» pris en charge par le service d’Action sociale sont revenus sur la voie, apprend-on.

De là à gagner la «guerre» contre la drogue, il y a encore du chemin. «Fouiller systématiquement près de 3000 élèves en une matinée est une tâche ardue, pour une poignée de surveillants», fait savoir Christine Enyegue. Cette dernière confie d’ailleurs avoir subi des menaces anonymes des élèves et même des parents. Comble : même sa hiérarchie ne l’a pas épargnée de menaces d’affectation disciplinaire.

Joseph Julien Ondoua Owona, Stg

 

Mme Christine Enyegue, directrice du Cetic de Ngoa-Ekelle

« Notre rôle n’est pas de nuire aux élèves, ce sont aussi nos enfants »

La communauté éducative vous attribue la paternité de l’opération « couper les routes de la drogue au Cetic de Ngoa-Ekelle ». Quel en est le bilan à ce jour ?
Quand je suis arrivée ici, il ne se passait pas une semaine sans qu’on découvre un poignard ou des stupéfiants sur un élève. Face à cela, j’ai dû prendre le problème à bras le corps. Mes collaborateurs et moi avons pris des mesures draconiennes. Depuis lors, la violence et la consommation des stupéfiants ont régressé. Je suis satisfaite parce que le niveau de délinquance a baissé. Mais beaucoup reste à faire. Et je suis aussi contente de savoir que plusieurs parents assistent aux réunions.

Est-ce que vous bénéficiez du soutien des parents ?
Dans ce combat difficile, les parents ne collaborent pas beaucoup. Ils pensent qu’aimer leurs enfants, c’est ne pas dire la vérité sur le comportement, les fréquentations de leur progéniture. Quand on les convoque, ils viennent généralement nous dire qu’ils ne sont pas au courant que leurs enfants consomment des stupéfiants. Mais plus tard, nous découvrons le contraire.

Quel est l’état des relations entre le CETIC et les forces de sécurité ?
Nous avons d’excellents rapports. Les forces de l’ordre sont toujours à notre disposition, notamment celles dela brigade de Melen, celles du commissariat de sécurité publique situés non loin d’ici, et celles du service de police chargé de la sécurité des établissements scolaires et universitaires.

Que pouvez-vous dire à la communauté éducative ?
Aux parents je dirais que leurs enfants sont les nôtres. Ils n’ont pas à se méfier de l’école. Ils doivent se rapprocher de l’école pour qu’ensemble nous puissions éduquer nos enfants. Toutefois, le parent doit être présent dans la vie de son enfant à la maison. Il doit veiller sur ses faits et gestes.

À mes collaborateurs et même aux enseignants, je rappelle qu’on ne peut pas être enseignant si on n’a pas le cœur sur la main. On est enseignant ici et parent ailleurs. Aux élèves je demande de changer. Je demande à la hiérarchie de nous apporter son soutien dans l’exercice de nos fonctions. Parce que c’est nous qui sommes sur le terrain.

 

Yvan Ngoa, président de la coopérative des élèves du lycée de Nkolafamba

« Des cas sont signalés »

En tant que jeune et surtout président de la coopérative de votre établissement, comment interprétez-vous les actualités sur les violences perpétrées par des élèves sur leurs camarades et mêmes leurs encadreurs ?
Vous faites bien de signaler que je suis président de la coopérative des élèves de l’établissement que je fréquente. Cette position m’oblige à regarder d’un œil très indigné ce qui se passe dans les lycées et collèges du pays. De mon point de vue, ces violences sont dues au phénomène de groupe. Se retrouver en groupe est naturel et indispensable chez l’adolescent, qui a besoin de s’émanciper du milieu familial et de s’affirmer, mais il ne le peut pas encore seul. En même temps, le groupe lui donne la puissance pour produire le pire. Je crois que ce qui arrive est dû au fait que les petites bandes ont le vent en poupe.

Dans votre établissement, vos camarades prennent-ils des drogues ?
Je ne peux pas l’affirmer. Mais des rumeurs circulent. On l’apprend surtout au terme d’une bagarre ou d’une engueulade. Comme nous sommes en zone rurale, ce n’est pas très courant. Mais, des cas sont signalés.

En tant que leader parmi les camarades, que faites-vous pour casser la spirale de violence actuelle ?
Nous organisons parfois des causeries éducatives en collaboration avec l’administration de l’établissement et certaines ONG. Les contenus sont orientés vers la politesse, les méfaits de la cigarette, du sexe précoce, la confiance en soi et aussi sur les effets positifs et négatifs de ce que nous diffusent les médias.

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