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27 août 1940 – 27 août 2023 : 83 ans de Déni !

Les activités liées à cette commémoration mettront entre autres en lumière les nombreux héros africains au rang desquels plusieurs Camerounais, recrutés de force, qui ont libéré la France de la domination des Nazis. Ces activités vont aussi problématiser l’impact des Africains dans la libération de la France en se demandant si la France libre aurait été possible sans les Africains? Cette commémoration est aussi une occasion idoine de faire le bilan des relations entre la France et le Cameroun depuis maintenant 80 ans.
On verra ainsi comment l’incroyable réponse généreuse des Camerounais face à la main tendue d’une France envahie et meurtrie s’est plus tard transmutée en une exploitation sauvage et sanglante qui a conduit, entre autres, à la création du mouvement indépendantiste et a vu l’UPC jouer un rôle central dans l’avènement des indépendances.

Dr Daniel Yagnye Tom

 

1- La portée nationale et internationale du 27 août 1940
Que représente l’avenue du 27 Août 1940 pour les Camerounais? Quelle idée ont les Camerounais du maréchal Leclerc? Très peu de nos compatriotes en diront quelque chose! Que s’est-il réellement passé cette nuit du 26 au 27 Août 1940 à Douala? Quelle importance revêt cet événement pour le Cameroun et pour la France? Quelle en est sa portée internationale?
Comment comprendre, aujourd’hui, 83 ans après, le silence des différents États camerounais et français? Si, au lendemain de la guerre, cette attitude de la France coloniale était explicable en raison des «humiliations nationales», qui étaient en réalité de véritables psycho-traumatismes pour les dirigeants français d’une part, la débâcle très rapide infligée par l’armée allemande et d’autre part la libération de la France par les soldats africains considérés par eux comme des sous-hommes, elle est depuis plus de 70 ans inacceptable. Nous pensons que le temps est enfin venu pour la France d’accepter et d’assumer ce passé en disant la vérité et de ne plus continuer à présenter la participation de l’Afrique dans la deuxième guerre mondiale comme un détail de l’histoire.

2- La déclaration de l’indépendance politique et économique du Kamerun
Après l’appel du 18 juin 1940 à Londres par le général De Gaulle, très peu de choses concrètes et palpables se passaient dans le sens de la matérialisation de cet appel: seule une infime minorité des Français répondirent à l’appel. La France était largement pétainiste et à genoux devant la force de frappe nazie. Les «alliés», malgré leur générosité envers De Gaulle, n’y croyaient pas. Leur soutien au général rebelle sans troupes ni moyens militaires et financiers n’était que du bout des lèvres. De Gaulle et son petit groupe se désillusionnèrent et se tournèrent par instinct de survie et mesquinerie vers l’Afrique. Ils usèrent de ruse et de force pour enrôler les Camerounais à leur côté. Cyniques et machiavéliques dans leur état, ils déclarèrent le 27 août 1940 par la voix du capitaine Philippe de Hautecloque alias Leclerc l’indépendance politique et économique du Cameroun pour gagner les cœurs des Camerounais à leur cause alors qu’ils n’entendaient pas les détacher des chaînes de l’esclavage. Voici sa déclaration:
“Ce matin 27 août 1940, sur le sol d’Afrique et dans un territoire français, la France, avec ses propres armes, continue la lutte et rentre dans la seconde guerre mondiale, aux côtés de la Grande-Bretagne et de ses alliés. Elle sera présente à l’heure de la victoire après les combats dans l’honneur. Le Cameroun reprend son indépendance économique et politique. Il adhère à la France Libre. Vive la France. Vive le Cameroun Libre”.
Pris d’enthousiasme par l’annonce, de nombreux Camerounais accueillirent quelques semaines plus tard le squatteur des rives de la Tamise à Yaoundé dans un délire. La chanson que fredonnaient les populations indiquait suffisamment les espoirs des uns et des autres. Écoutons-la:

D’abord en Ewondo
«Gol’o de Gol’o bita bisul ya
Lom bezimbi bezu luman bita, bita bisul ya
Bezu tsidam ndzaman a nnam woe, bita bisul ya
Degolo, degolo’o bitta bisul ya
A Charles de Gol A Charles de Gol A Charles de gol
Za kode nnam za kode mvon bot ya wu ntug
Yegele bot minkpaman mi mam miayi kom Kameroun
A mfan mot ya nmam Fulansi ovuma a
ngungul nam bezimbi

Nnen, ovuma, wa ya onga luman ngul bita ai
ndzaman, ovuma
A Charles de gol, ovuma ovuma»

Maintenant en français
«De Gaulle, voici que la guerre éclate
Envoie des soldats combattre
Qu’ils chassent les Allemands de ton pays
De Gaulle, voici que la guerre éclate
Charles De Gaulle, Charles De Gaulle,
Charles De Gaulle
Viens délivrer le pays, des générations vont disparaître,
Apprends-leur de nouvelles choses qui développent le Cameroun
Noble Français, salut puissant soldat
Grand guerrier qui combat les Allemands
Salut»

Certes le gouverneur Félix Éboue avait reconnu la France Libre le 26 Août 1940, mais ce n’est que grâce au Kamerun indépendant que naquit effectivement la France Libre avec des combattants, un territoire national souverain tout comme des moyens financiers, économiques et matériels à la hauteur des enjeux de la situation. Notre pays devenait ainsi le véritable poumon économique de cette France Libre. Les levées forcées d’impôts dans les villes et villages, le travail forcé, l’exploitation des ressources naturelles et agricoles telles l’or, le caoutchouc, le café, le cacao, le bois, etc… se jumelèrent aux dons et souscriptions de toute nature pour financer l’effort de guerre [1]. C’est ainsi que dans le cadre de la souscription qui fût lancée à Éséka par Leclerc en novembre 1940, les kamerunais contribuèrent massivement pour l’achat des avions de guerre Spitfire qui vont faire la gloire du colonel Leclerc lors de la bataille de Koufra dans le désert libyen. Le 4 novembre 1941, les planteurs du café de Bafang, par le truchement du président de leur coopérative Ngassa, remettaient la somme de 82 420 francs aux représentants de la France libre pour l’achat des armes. On peut glaner ici et là à travers les archives de nombreux exemples qui montrent la contribution des peuples de l’AEF et du Kamerun à l’effort de guerre.

Il faut le dire, c’est bien l’AEF et le Kamerun qui ont donné une légitimité à la France libre. L’Afrique Équatoriale Française a été la seule à porter sur elle tout le poids de cette guerre jusqu’en 1943, lorsque l’Afrique du Nord est rentrée dans la guerre [3].
C’est dire que, sans l’Afrique et les africains, l’appel du 18 Juin 1940 serait resté sans effet, un vœu pieux [1]. Le reconnaitre, c’est faire preuve d’honnêteté morale et intellectuelle. Ce qui manque cruellement à la France officielle depuis le début de son entreprise coloniale jusqu’à nos jours.
Mais quelle portée pourrait avoir une proclamation en 1940 (par un français, en l’occurrence le colonel Leclerc) de l’indépendance du Kamerun considéré abusivement par les français comme un territoire français? Il n’est pas anodin de rappeler que le silence ahurissant de la France sur cette date fait nécessairement d’elle, l’une des pierres angulaires du contentieux historique franco-kamerunais.
Généralement le 27 Août 1940 est uniquement considéré par la France et le Kamerun officiels comme la date de l’adhésion du Kamerun dans la France Libre du général Charles De Gaulle. Rien de plus ne se dit sur cette date, alors qu’à partir de ce jour-là, les choses avaient complètement changé pour la France et pour notre pays… La vie de notre peuple n’était plus la même. Cette date a marqué profondément nos populations et a marqué de manière décisive les choix politiques majeurs de l’union des Populations du Cameroun (U.P.C) [4].
Ce pan héroïque de notre histoire commune est ignoré parce qu’en concrétisation d’une politique destinée à éradiquer de la mémoire collective ces faits, notre système éducatif l’évite; de l’enseignant aux descendants de ces héros de la liberté.

3- L’importance du 27 août 1940 pour la France
Le seul fait que le général De Gaulle soit resté général tout au long de sa vie alors que l’officier Leclerc est passé en seulement sept années du grade de capitaine à celui de maréchal de France permet à lui seul de se donner une idée de l’importance de cette date pour la France. Sans Douala, la France ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui. Sans le Cameroun et l’AEF, le général De Gaulle n’aurait jamais été celui qu’il fut. Il serait demeuré le squatteur des rives de la Tamise. Et la France? Elle n’aurait pas été du côté des vainqueurs de la deuxième guerre mondiale avec ce poids politique aux Nations Unies et cette place au Conseil de sécurité de l’ONU.

4- Pour la vérité et la justice historiques
L’Alliance Patriotique, le Mouvement Citoyen et l’UPC invitent à la relecture de l’histoire afin que les rivières de sang versé par les Africains et les Camerounais en particulier soient légitimement valorisées. Commémorer le 27 août 1940, c’est: 1- Célébrer la toute première indépendance politique et économique du Cameroun vis-à-vis de la France et dévoiler ainsi la perfidie, la méchanceté et l’ingratitude de la classe politique coloniale et colonialiste française qui s’est empressée à mettre rapidement entre parenthèses cette importante partie de notre histoire commune. 2- Honorer les divers sacrifices des populations de notre pays et du continent forcées à travailler comme des bêtes pour satisfaire les besoins logistiques de la France et des Alliés dans la guerre contre l’Allemagne nazie. 3- Se souvenir et honorer le sang versé par les milliers et milliers de Camerounais et d’Africains dans cette guerre pour la libération de l’Europe puisque les Africains ont aussi combattu en Allemagne, en Italie, etc. 4- Se rappeler et rappeler à la France l’énorme dette encore impayée qu’elle a envers notre pays et ses populations. 5- Réécrire l’histoire de la deuxième guerre mondiale afin qu’elle reflète ce qui s’est réellement passé, que le Cameroun et l’Afrique en général occupent finalement la place qu’ils méritent dans l’histoire de cette guerre et que justice soit faite!
Le 18 juin dernier, le président français Macron s’est déplacé à Londres, où, après d’interminables remerciements, il a décerné la Légion d’honneur à la ville de Londres parce que cette ville a offert à la France sa première arme: un micro de la BBC! Quand est-ce que la France cessera de briller par l’ingratitude à l’endroit du continent africain? Douala a fait plusieurs milliers de fois plus que Londres avec des rivières de sang versé par les Camerounais et les divers apports financiers et matériels!!!
Cette célébration est d’autant plus importante que le contentieux historique qui naît de la non-reconnaissance de cette dette de sang de la France envers le Cameroun continue et perdure. Il est dès lors très important et essentiel d’étudier sérieusement et de diffuser le contentieux historique afin de participer à la prise de conscience des Africains, ce qui s’illustre comme étant l’unique référence pour l’avènement de la plénitude culturelle tant évoquée par Cheikh Anta Diop.
Les activités liées à cette commémoration mettront entre autres en lumière les nombreux héros africains au rang desquels plusieurs Camerounais, recrutés de force, qui ont libéré la France de la domination des Nazis. Ces activités vont aussi problématiser l’impact des Africains dans la libération de la France en se demandant si la France libre aurait été possible sans les Africains? Cette commémoration est aussi une occasion idoine de faire le bilan des relations entre la France et le Cameroun depuis maintenant 80 ans.
On verra ainsi comment l’incroyable réponse généreuse des Camerounais face à la main tendue d’une France envahie et meurtrie s’est plus tard transmutée en une exploitation sauvage et sanglante qui a conduit, entre autres, à la création du mouvement indépendantiste et a vu l’UPC jouer un rôle central dans l’avènement des indépendances.

Dr Daniel Yagnye Tom

[1] Charles Onana, La France et ses libérateurs, Film documentaire 2009.
[2] Enoh Meyomesse, «Le coup d’Etat du colonel Leclerc au Cameroun», in Histoire du Cameroun. De 1940 à nos jours. Tome 1, 2nd édition, 2016.
[3] Eric Jennings, La France Libre fut africaine, éditions Perrin, 2014.
[4] Ruben Um Nyobe, quot;En ce qui concerne l’argument selon lequel nous devons avoir des armes pour revendiquer notre liberté, nous répondons que cela est dépassé. La lutte armée a été menée une fois pour toutes par les nationalistes camerounais qui ont largement contribué à la défaite du fascisme allemand. Les libertés fondamentales dont nous revendiquons l’application et l’indépendance vers laquelle nous devons marcher résolument ne sont plus les choses à conquérir par les armes. quot; in Écrits sous maquis, L’Harmattan, page 89.
[5] Chanson en Ewondo Henri Diabate Manden.

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